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plaçait d’un côté de la cheminée, froide, revêche, si ce n’est pour quelques intimes, silencieuse quoiqu’elle eût, dit-on, de l’esprit et surtout de l’esprit satirique ; Mme Dosne, la belle-mère, s’établissait de l’autre côté, vive, intelligente, causeuse, accueillante ; on sentait en toutes ses façons qu’elle était la véritable autorité du foyer. Enfin il se réveillait, regardait autour de lui et se dirigeait vers celui des visiteurs qu’il croyait utile ou agréable d’entretenir. Si l’entretien n’était pas confidentiel, ceux que Mme Dosne ne retenait pas autour d’elle formaient cercle, et alors c’était un enchantement : anecdotes, observations fines ou malicieuses, jugemens sur le présent corroborés par d’inépuisables souvenirs du passé ; des dames survenaient-elles, il changeait de propos, parlait art, littérature, choses mondaines, colifichets en connaisseur expert.

« C’est un doux commerce que celui des belles et honnêtes femmes. » Thiers le pensait comme Montaigne. Il a toujours été en liaison d’amitié ou en coquetterie d’esprit avec quelque belle et honnête femme. A peu près à l’âge déjà avancé où Michel-Ange connut Vittoria Colonna, il en rencontra une en plein épanouissement de beauté, une femme dont aucun souffle n’a jamais effleuré la suave pureté, sans facultés exceptionnelles, mais douée de ce tact d’âme délicieux auquel Mme Récamier, quoique n’ayant pas d’esprit, dut l’ascendant exercé sur tant d’hommes supérieurs. Il trouva plaisir à sa conversation, la rechercha ; peu à peu l’amitié se resserra, devint tout à fait intime : il vint la voir tous les jours, et quand il était empêché lui écrivait.

On remarquait alors dans la société impériale deux jeunes princesses Bonaparte : la princesse Charlotte, comtesse Primoli, véritable rêve de grâce, aussi attrayante que bonne, qui portait partout la joie avec elle ; la princesse Julie, marquise Roccagiovine, d’un esprit prime-sautier et cultivé, d’un cœur haut, d’une large tolérance, recevant à la fois Sainte-Beuve, Renan et le Père Hyacinthe, alors carme édifiant, Billault et Emile Ollivier. Très liée avec l’amie de Thiers, elle assistait souvent aux entretiens journaliers. On le cajolait, on lui offrait du chocolat, il lisait des Fables de la Fontaine ou tout autre chef-d’œuvre de notre littérature ; on causait de tout excepté de politique ; il ne songeait