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côtés, nous avait utilement assistés par ses connaissances économiques et financières, n’avait démérité d’aucune manière ; nous nous déclarâmes inséparables ; nous entendions aller tous ensemble au combat électoral comme nous avions été au combat parlementaire. Jules Favre, quoiqu’il eût peu de goût pour l’ex-ami de Proudhon, ne fut pas moins affirmatif.

Garnier-Pagès ne se décourageait pas facilement ; dans son infatuation grotesque, il n’entendait que ce qu’il se disait à lui-même ; il avait employé son hiver à parcourir quelques villes ; il avait péniblement réuni quelques anciens sans influence, sans volonté d’agir, et il était revenu triomphant, convaincu qu’il tenait la France dans sa main et qu’il ne lui restait qu’à prendre Paris. Rien ne lui semblait plus facile : il mettrait en avant comme porte-enseigne le nom respecté de Carnot, formerait sous son égide un comité où prendraient place son gendre Dréo, Henri Martin, Jules Simon, Floquet, Hérold ; ce comité disposerait des candidatures, distribuerait les circonscriptions, en offrirait une à Havin pour avoir le concours tout-puissant du Siècle, et supplierait Garnier-Pagès de faire à la patrie le sacrifice d’en accepter une autre.

L’essentiel de la combinaison était de gagner Havin. Lui, malin et superbe, attendait qu’on vînt se mettre à ses pieds, et avant de régler l’affaire d’autrui, arrangeait la sienne. Il convenait avec Guéroult de se porter ensemble et de se soutenir réciproquement. Mais se porter ne lui suffisait pas, il voulait une circonscription de son choix, celle où il comptait le plus d’abonnés, la 4e, qui correspondait à peu près à celle de Picard ; Picard serait transféré à la 7e à la place de Darimon éliminé ; je serais maintenu dans la 3e. Tout se serait arrangé au mieux si j’avais consenti au sacrifice de Darimon et au changement de Picard, mais j’étais résolu à lutter, dussé-je y perdre mon siège, contre l’une et l’autre exigence.

Cependant la campagne n’était point possible sans l’appui d’un journal. Je tâtai Nefftzer : il n’y avait rien à faire avec lui ; il n’aimait pas Darimon et détestait Havin et Guéroult. Restait Girardin. Lui-même, spontanément, me pria de l’aller voir. « Vous êtes notre porte-drapeau, me dit-il, je désire m’entendre avec vous. — Je suis prêt, répondis-je ; à nous deux nous pouvons conduire le mouvement. » La perspective le séduisit.

Avec cet esprit net et résolu, les discussions n’étaient pas