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A parler franchement, la situation s’est modifiée depuis l’année dernière dans les Balkans, mais non pas d’une manière favorable à l’Autriche-Hongrie : de là vient sans doute l’accent de mauvaise humeur du comte Goluchowski, Ces modifications ne sont pourtant pas le résultat d’une action politique bien profonde : le hasard y a eu, la plus grande part, mais l’effet seul importe et non pas la cause. La Serbie, que le roi Milan avait courbée sous l’hégémonie autrichienne, a échappé à ce joug. Si nous parlons de joug, c’est que toutes les tendances de l’opinion en Serbie étaient du côté de la Russie, et qu’il a fallu une pression extrêmement dure de la part du roi Milan pour tourner dans un autre sens la politique du pays. Il ne s’est pas donné la peine d’y mettre beaucoup d’habileté, c’est-à-dire deménagemens ; la force lui a suffi. Le personnage, pour ce motif et pour quelques autres encore, était devenu odieux ; sa politique l’était avec lui.

Comment, par quoi a-t-elle été brisée ? Par un sentiment très vif que le jeune roi Alexandre a éprouvé pour Mme Draga Maschin. Il l’a épousée malgré la double opposition de son père et de sa mère, si profondément désunis en toute autre circonstance, et merveilleusement d’accord dans celle-ci, bien que pour des motifs différens. L’émancipation du roi a été celle du royaume. Le royaume, comme le roi, a cédé bientôt à son inclination naturelle. La mort de Milan a dégagé la Serbie de toute préoccupation que pouvait lui causer un retour d’influence et de despotisme, toujours à craindre de la part d’un homme encore jeune, entreprenant et sans scrupules. Milan a emporté dans la tombe les derniers vestiges de sa politique, et la Serbie s’est orientée de plus en plus résolument du côté de Saint-Pétersbourg. On ne saurait reprocher à la Russie de s’être livrée à aucune intrigue pour faire tourner les événemens à son avantage : elle s’est contentée d’en profiter comme tout autre l’aurait fait à sa place. Quand le jeu vient spontanément, on n’a pas l’habitude de le repousser. L’empereur Nicolas n’a eu qu’à se montrer bienveillant et affable envers le roi Alexandre et sa femme. Il a été le premier à les féliciter de leur union, et à témoigner à la nouvelle reine les égards qui lui étaient dus, mais que tout le monde ne lui rendait pas. La manière dont elle était montée sur le trône fournissait à la malveillance des prétextes faciles : elle n’en a été que plus sensible, et le roi l’a été avec elle, à l’empressement obligeant que leur témoignait l’empereur de Russie. C’est lui qui a donné et imposé le ton qu’il convenait de prendre envers la cour de Serbie, et ces choses-là ne s’oublient pas. Néanmoins, le parti hostile à la reine n’a pas désarmé ; il a continué d’agir en dessous avec