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les combinaisons azotées et phosphorées. C’était là une objection grave. — En reprenant cette étude, nos deux chimistes constatèrent que Liebig s’était trompé ; qu’il avait mal fixé la composition des corps en question ; que ce n’était pas seulement une partie de son mémoire qui était inexacte, mais le mémoire tout entier, et d’un bout à l’autre. Ils publièrent cette conclusion. Liebig, hors de lui, écrivit et répandit un libelle injurieux au dernier point, dans lequel il traitait son protégé et ami d’autrefois, de héros de théâtre recouvert de clinquant et l’assimilait à un voleur de grand chemin. — Laurent répondit de la même encre. Cette violente querelle semblait avoir séparé pour jamais ces anciens amis. Ils se réconcilièrent cependant quelques années plus tard.


IV

La place nous manquerait pour signaler les résultats féconds de la collaboration de nos deux réformateurs. Il faudrait énumérer tous leurs travaux particuliers ; il faudrait exposer la théorie des types et signaler l’influence qu’elle a eue sur les progrès de la science dans notre temps. Il faudrait parler du Traité de chimie organique qui, pendant longtemps, au témoignage de Grimaux, fut le vade mecum, le livre de laboratoire de tous les chercheurs. Malheureusement, ce ne fut pas dans notre pays, ce fut à l’étranger surtout, que les idées et les notations de Gerhardt et Laurent pénétrèrent les esprits et s’introduisirent dans l’enseignement. De là une avance de vingt-cinq ou trente ans au profit de nos rivaux. Il a fallu les efforts de Würtz, de Friedel, et de leurs élèves pour donner à nos chimistes l’instrument et la langue dont se servait déjà l’Europe tout entière.

Ni Gerhardt ni Laurent ne virent ce lointain triomphe de leurs doctrines. Laurent, comme nous l’avons dit, avait abandonné son enseignement de la Faculté de Bordeaux : il végétait à Paris, en attendant une place.

Gerhardt à son tour ne tarda point à se lasser de nouveau de la vie de Montpellier, de la tranquillité sépulcrale de son laboratoire, des ressources insuffisantes qu’il y trouvait, du silence qui y régnait. Il aspirait au mouvement intellectuel de Paris, aux échanges d’idées, aux discussions, qui forment l’atmosphère indispensable au développement de toute doctrine nouvelle.

Il voulait suivre Laurent à Paris, fonder avec lui un Institut privé de chimie, ouvert à un petit nombre d’élèves de choix et alimenté