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de travail font défaut. Gerhardt n’a pas de frais de laboratoire ; 450 francs par an seulement sont affectés aux besoins du cours et des collections. Il n’a pas de préparateur ; il n’y en a qu’un pour toute la Faculté et il est affecté aux leçons. Il n’a pas même de garçon ; un homme de peine fait le maître Jacques et sert, à la fois, de concierge, de domestique et de commissionnaire. La situation, à cette époque, était la même partout, dans toutes les facultés de province. L’administration était aussi ladre, aussi sordide à Rennes pour Malaguti qu’à Montpellier pour Gerhardt. Notre chimiste se lamente, de plus, que le pays n’ait pas -de ressources industrielles. Il faut écrire à Paris, — et combien de temps d’avance, — à propos de tout, pour avoir de la potasse et des cornues. Les professeurs s’endorment dans la mollesse et la nullité. Il y a quatorze auditeurs pour toute la Faculté.

Et cependant, dans cette atmosphère assoupissante, Gerhardt ne s’engourdit pas. Il expérimente, il analyse, il envoie à l’Académie, à Dumas, à Cahours, des notes sur l’acide valérianique, sur l’indigo, sur la formation de l’acide salicylique ; sur l’acide draconique de Laurent. Il aspire aux vacances pour aller travailler à Paris. Puis, petit à petit, il s’aigrit. Il accuse Dumas de l’avoir éloigné par crainte et de vouloir l’enterrer à Montpellier. Il songe à démissionner.

C’est dans cette disposition d’esprit qu’il se trouvait lorsque, venu à Paris pendant les vacances de 1842, il lut à l’Académie ses Recherches sur la classification des substances organiques. Cette lecture souleva une tempête. On en trouva le ton insupportable, et les conclusions d’un style qui ne conviendrait même pas à Lavoisier. Thénard, furieux, lui en fit de violens reproches ; et, comme il se défendait, il l’éconduisit d’une manière qui ressemblait beaucoup à une mise à la porte. Le voilà qui retombe à Montpellier, incertain de pouvoir y rester.il y travaille cependant avec une extraordinaire activité : ses Mémoires, ses analyses, ses traductions se pressent, s’accumulent. Le ciel s’éclaircit enfin. Gerhardt est nommé professeur titulaire. Il se rassérène un peu. Il se lie avec un brillant collègue de la Faculté des lettres, Saint-René Taillandier, dont les leçons font courir toute la ville. Il devient amoureux d’une charmante Anglaise, miss Jenny Sanders, fille d’un médecin que le souci de sa santé avait amené à Montpellier : il l’épouse. Il nage dans le bonheur. Il se rend en Alsace pour sceller sa réconciliation avec son père et présenter sa jeune femme à sa famille. Cette seconde moitié de l’année 1844 est un temps de bonheur, de repos complet ; une ère de calme dans sa vie agitée.

Mais la lutte recommence bientôt. Gerhardt voit des erreurs de doctrine