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tant que l’œil de Dieu veillera sur elle ; laissons-la voter, de même que nous lui laissons prendre la parole dans une assemblée publique, ou enseigner la géométrie et le latin dans une école mixte ; la meilleure préparation à la liberté, c’est la liberté. Son éducation se fera par les droits mêmes qui lui seront donnés. Le bon sens, l’exactitude, l’intelligence et le goût de l’administration qu’elle apporte dans son ménage, elle les apportera dans ce nouveau rôle auquel la prépare depuis trente ans la campagne du suffrage menée aux États-Unis par des femmes de premier ordre et par beaucoup d’hommes éminens, avec elles, par des hommes qui croient que l’expérience d’une république modèle aura plus de chances de réussir quand une moitié de la race ne sera plus tenue à l’écart des affaires. »

Higginson espère que les tendances morales de la femme feront triompher les grandes causes de la tempérance et de la paix ; toutefois il ne répond de rien, ne revendiquant pas pour sa cliente les droits de citoyen parce qu’elle est un ange : il lui suffit qu’elle soit un être humain. Jamais il n’a cessé de plaider la cause des femmes. Il se fait leur avocat, à toutes les époques de l’histoire ; la Fronde le séduit parce qu’elle fut la Guerre des Dames, de Dames pour lesquelles son admiration dépasse en chaleur celle de Cousin ; les campagnes de la Grande Mademoiselle[1] sont qualifiées par lui de fil d’or dans la tapisserie somptueuse d’écarlate et de pourpre qui représente le siècle de Louis XIV ; il réhabilite, sans hésiter, Sapho et son école de science dont cette mauvaise langue de Voltaire voulut faire une école de vice, comparant cette école indignement calomniée aux classes que Margaret Fuller ouvrit aux jeunes filles de Boston. Les déesses grecques « ces grandes femmes idéales du ciel » l’ont pour fervent adorateur, et il accorde une place parmi elles à la Demeter transformée, à la Vierge Mère, avec une condescendance d’hérétique bienveillant que nous trouvons toujours chez lui quand il s’agit du catholicisme. Avec quelle ardeur il défend les femmes savantes, d’Elena Cornaro à Mme Dacier, contre les sarcasmes de Molière ! George Sand et George Eliot, Rachel et la Ristori, l’aident à démontrer que la femme a déjà rattrapé l’homme dans deux départemens intellectuels, le roman et l’art dramatique ; et, à propos d’elles, il se réclame de Darwin pour

  1. Studies in history and letters, 1 vol. — Mademoiselle’ s’Campaigns.