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des armes, ne considéra jamais les choses purement et simplement au point de vue du soldat. Ce fut la clef de ses succès militaires, — le temps, le lieu, les combattans étant ce qu’ils étaient, — et cela explique l’empressement avec lequel tous ceux qui, ainsi que lui, avaient bien servi la patrie, déposèrent les armes. Le moment critique était pourtant venu, à en croire l’Europe ; enfin, l’homme à cheval, si souvent prophétisé comme l’instrument fatal de la Providence, allait amener cette turbulente république au rang des nations qui obéissent... Et il se trouva au contraire que le vieil Israël Putnam, du temps de l’indépendance, galopant en manches de chemise à la bataille de Bunker Hill, n’était ni plus ni moins dangereux pour la liberté des États-Unis que cet homme à cheval qui s’appelait Grant.

« Les titres de Grant à une gloire durable furent ceux-ci : D’abord il commanda les plus grandes armées qu’ait jamais vues le monde civilisé ; avec ces armées il sauva l’intégrité de la nation américaine. Il fit cela par sa propre initiative, réunissant rarement Un conseil de guerre et différant presque toujours d’opinion avec lui quand il le convoquait. Il agit en toute circonstance par devoir et jamais par gloriole, en citoyen beaucoup plus encore qu’en soldat ; comme il l’expliquait à Bismarck, il fut avant tout le cultivateur, l’homme des champs. Frappé par les plus grands revers personnels, il montra jusqu’au bout les mêmes qualités robustes. En écrivant ses Mémoires, Grant fut simple et sincère sur tout ce qui le concernait, juste et loyal à l’égard de ses adversaires, en vertu de quoi il légua au monde l’autobiographie militaire la plus intéressante qui se soit produite depuis les Commentaires de César. »

Nous verrons, en suivant Higginson à travers ses voyages, s’il apporte dans le jugement sur ses contemporains étrangers autant de perspicacité que dans l’appréciation de ses compatriotes.


VI

Un Américain représentatif est tenu d’avoir voyagé, tout en habitant le plus souvent son pays où des tâches multiples le retiennent. Higginson visita donc à deux reprises, en 1872 et en 1878, l’Angleterre et la France. Ce furent de tardifs pèlerinages. Il avait quarante-huit ans lorsque pour la première fois il aborda la patrie de ses ancêtres. Déjà il croyait la connaître,