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V

Ce furent deux belles années dans la vie de Thomas Higginson que ces deux années de vie militaire. Les suites d’une blessure l’obligèrent à quitter le service. Retenu par la santé, toujours menacée, de sa femme à Newport dont il a donné des descriptions charmantes dans Oldport Days (les Jours d’Oldport), il revint à ses livres avec délices, traduisant Epictète, qui lui aussi fut esclave, les sonnets de Pétrarque, des poésies de Rückert ou du Camoens, et répandant des essais sur toutes les questions qui, au cours des événemens, s’imposaient à sa pensée. Celui qu’il intitula, par exemple, Saints and their bodies (les Saints et leurs corps), ne contribua pas médiocrement à la propagation des exercices athlétiques dans son pays. La vigueur physique et la perfection spirituelle lui paraissent tout à fait compatibles ; il ne manque jamais l’occasion d’opposer victorieusement les sports à un certain ascétisme qui les réprouve.

De ses tentatives dans le roman, il n’y a pas grand bien à dire, quoique la nouvelle, The Monarch of dreams, soit curieuse ; c’est l’histoire d’un homme qui, après avoir entrepris de diriger ses rêves et de les provoquer à volonté, est à la fin terrassé par eux pour ainsi dire, enveloppé de leurs mailles irrésistibles, jusqu’à devenir incapable d’action. Ce récit lui fut inspiré par les expériences dangereuses qu’il fit de l’opium alors qu’à l’université il lisait les Confessions de Quincey, en étudiant la théologie. Son but était, paraît-il, de stimuler son imagination. Il n’y parvint pas, à en juger par Malbone, où les événemens les plus invraisemblables, quoique vrais, l’auteur nous l’affirme, sont accumulés autour d’un personnage déplaisant qu’on dirait inspiré par les héros fatalement pervers d’Eugène Sue. Higginson déclare cependant l’avoir connu et avoir subi le charme de son extraordinaire beauté, de ses dons intellectuels merveilleux, mais peu importe que la figure soit réelle si nous ne la sentons pas vivre.

En revanche ses portraits de Contemporains sont d’une ressemblance de détails très attachante. Même quand il ne nous apprend sur eux rien de bien nouveau, il nous donne l’impression de les aborder dans une intimité plus étroite, il nous les fait voir comme il les vit lui-même, en voisin, en ami.