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sociale, le moindre péril à courir était celui d’être assaillis par la populace, menacés de mort, traînés le long des rues de Boston au bout d’une corde ; il y avait de plus cruelles épreuves, le blâme de beaucoup de conservateurs honorables, des amis d’autrefois, des proches. L’université de Harvard tout entière et une bonne partie de la meilleure société bostonienne se prononçaient contre l’abolition, et parmi ceux qui la soutenaient, en revanche, plus d’un ressemblait à celui dont Théodore Parker était réduit à dire : « C’est un garnement, mais il aime la liberté. »

En pareille compagnie un jeune ecclésiastique ne pouvait que se compromettre. Higginson n’en eut cure ; il sentait bouillonner chez lui l’horreur de toutes les tyrannies. Son aïeul, le Révérend John Higginson de Salem, n’avait-il pas appuyé le premier, dès l’an 1700, la protestation du juge Sewall en faveur de « Joseph vendu par ses frères ? » Comme ce saint homme avait quitté sans regret un bénéfice en Angleterre pour n’écouter que sa conscience, il aima mieux renoncer à la prédication que de dissimuler ses sentimens. Il eut pour lui l’estime de son voisin Whittier, le vertueux quaker, le poète du peuple ; les sympathies des jeunes parmi ses paroissiens ; celles de quelques femmes qui prenaient vivement parti dans la croisade contre l’esclavage. Bien avant la publication de la Case de fonde Tom, Lydia-Maria Child avait, la plume à la main, défendu avec énergie ces Américains que l’on nomme Africains. Il y en eut d’autres encore, Mrs Chapman, Abby Poster, etc., des plus intelligentes et des plus haut placées, qui bravèrent l’opinion du monde pour l’amour de la justice.

Fort de l’approbation de ceux qu’il considérait comme les meilleurs, Higginson se donna corps et âme aux luttes parfois violentes dont Boston devint le théâtre, au temps où une loi inexorable atteignait les esclaves évadés qui, en grand nombre, y cherchaient asile. Dans la convention tenue l’année précédente, Garrison avait défié le Sud tout entier de reprendre ces malheureux, et maintenant ils étaient réduits à fuir plus loin vers le Canada. Un comité de vigilance dirigé par Garrison les protégeait ; on entreprit même plus d’une fois d’arracher à la prison ou d’enlever aux tribunaux ceux qui s’étaient laissé arrêter. Higginson a noté le curieux malaise qu’éprouvaient les membres du comité à se trouver ainsi en opposition avec les institutions établies, obligés de prendre une attitude de conspirateurs. Il