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prit le chemin des Invalides, tandis que la foule des dignitaires à pied, « préfets, maires, magistrats, sénateurs, députés, tribuns, académiciens[1], » s’efforçait de suivre, sans garder les rangs, haletait et se précipitait en une espèce de déroute, dans un nuage de poussière. Sur les deux côtés du parcours, une quadruple rangée de curieux faisait la haie, et, derrière eux, une colonne de femmes et d’enfans courait parallèlement au cortège, criant sans discontinuer : « Vive Bonaparte ! » Des gens en délire se jetaient entre les chevaux, arrivaient au Consul, baisaient sa selle : « J’arrive de quarante lieues pour voir Bonaparte, » criait l’un d’eux, et ceux qui l’avaient vu voulaient le revoir ; « ils couraient pour gagner un passage où ils pussent le revoir encore[2]. »

Dans l’église des Invalides, dans le vaste vaisseau transformé en temple de Mars, des tribunes avaient été réservées aux corps constitués, aux habits brodés, aux femmes les plus distinguées par le rang et la toilette ; le simple public trouva difficilement à se placer, et les plaintes qu’excita ce commencement de privilège mirent une ombre au tableau. Au début de la cérémonie, deux virtuoses appelés de Milan, Blanchi et la Grassini, chantèrent dans leur langue une ode en l’honneur de la délivrance de leur patrie, et, dans la chaude lumière de juillet, ces voix d’outre-monts, le décor antique du temple, les statues, les trophées, les bronzes dorés, la pâleur des marbres et l’éclat de nos uniformes français, ces Parisiennes à coiffure de camée, le mélange de leur élégance et des attributs sévères, ces magistrats au titre évocateur, le Sénat, les tribuns, ce triomphant Consul, et l’imagination nationale subissant une fois de plus l’enchantement des victoires italiques, tout donnait à ce jour un caractère essentiellement latin, un caractère de solennité romaine et française. En périodes classiques, Lucien célébra le 14 Juillet et le 18 Brumaire, invoqua « la Concorde réparatrice de tous les maux, » et l’on entendit un Chant du 14 Juillet, dont Fontanes avait composé les paroles et Méhul la musique. L’effet fut grandiose, trois orchestres de cent musiciens chacun se répondant de divers points du temple. Bonaparte ne quitta pas l’hôtel avant d’avoir distingué par le don d’une médaille cinq invalides, les plus signalés « par les actions d’éclat de leur jeunesse[3]. » L’un

  1. Mémorial de Norvins, II, 253.
  2. Rœderer, VI, 413.
  3. Ibid.