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dans ce Paris qu’il ne perdait jamais de vue et qui lui inspirait toujours un peu d’inquiétude.

Les élémens de désordre s’étaient seulement assoupis ; ils semblaient parfois se réveiller. La pacification de l’Ouest, plus apparente que réelle, avait déconcerté un moment les agens anglo-royalistes, mais n’avait pas interrompu leur conspiration permanente. Parmi les émigrés qui rentraient à Paris par infiltration continue, si la plupart voulaient simplement jouir de la patrie retrouvée, quelques-uns rapportaient des arrière-pensées de révolte et de vengeance. A l’autre extrémité de l’opinion, quelques groupes de Jacobins intransigeans s’étaient reformés ; on les appelait exclusifs ; c’étaient des Jacobins non placés et enragés de misère, d’anciens terroristes et babouvistes, hommes de sang ou dangereux rêveurs. Ils erraient dans les faubourgs, se réunissaient dans des cabarets borgnes, exhalaient leur haine en propos atroces. Instruit par la police, Bonaparte avait l’œil sur ce détritus de la Révolution et pensait par momens à s’en débarrasser, à purger Paris ; il trouvait aussi que le Journal des hommes libres, par son langage de club, encourageait les fauteurs d’anarchie et nuisait au bon renom, à la tenue du Paris consulaire. Il guettait les Jacobins et épiait le moment de les surprendre en flagrant délit d’agitation.

Le 14 germinal, la police mit la main sur un nommé Bouchereau, soi-disant spéculateur, réputé pour l’un des plus dangereux agens de l’Angleterre, agent de corruption et d’intrigues. Quelques personnes soupçonnées de complicité dans ses manœuvres furent incarcérées en même temps. Ces arrestations firent grand bruit et parurent signaler une noire conspiration contre les chefs de l’État. Comme la confiance, malgré tout, restait précaire, comme les souvenirs du passé continuaient d’halluciner les esprits, Paris se troubla. Les Jacobins en profitèrent pour remuer ; ils tinrent des conciliabules, lancèrent et affichèrent des pamphlets anarchistes ; la rue prit un aspect houleux.

Pour Bonaparte, c’était l’occasion trouvée de sévir, de procéder dans les bas-fonds de la ville à une opération de nettoiement et de curage, de soumettre en même temps tout Paris à une discipline plus sévère. Le 15, les Consuls arrêtèrent les mesures suivantes : suppression du Journal des hommes libres et de deux autres ; suppression de la liberté d’affichage ; défense aux