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dépassés et persécutés ; après Carnot et Boissy d’Anglas, La Fayette, les frères Lameth et leurs amis politiques, et il semblait qu’au contact de ces hommes en qui s’étaient incarnés les premiers espoirs, les purs enthousiasmes, la Révolution se sentît rajeunir. Plusieurs de ces modérés teintés de royalisme s’en allaient ensuite occuper des préfectures, remplir des emplois actifs, où Bonaparte utilisait leur honorabilité et leurs talens, tandis qu’il retraitait dans la magistrature un grand nombre de Jacobins. Aux révolutionnaires les plus compromis, il ne demandait que le sacrifice de leurs opinions et non le sacrifice de leurs places. L’opinion s’étonnait, s’effrayait parfois devant d’audacieuses clémences et des scandales de pardon : les babouvistes condamnés sous le Directoire par la Haute Cour de Vendôme avaient été tirés de prison ; Bonaparte avait accepté l’adhésion de Barrère et annoncé l’intention de rappeler Billaud-Varennes. Autour de lui, des gens acharnés depuis dix ans à s’entre-détruire. Montagnards, Girondins, Thermidoriens, Fructidoriseurs et fructidorisés, se rencontraient, s’étonnaient de se retrouver ensemble et parfois se tournaient le dos. C’était une tâche ardue que de les concilier, que de les mettre au pas et de les faire marcher ensemble. Bonaparte les dominait de son autorité et en même temps négociait avec les consciences, les intérêts, les passions, les ambitions, les faiblesses ; il savait maîtriser et aussi flatter, duper, se donner des prises secrètes ; il mettait à manier les hommes une fermeté soutenue et d’extrêmes délicatesses de loucher, gouvernait fortement et finement.

En face de lui, les assemblées publiques cessaient de donner un centre à l’opposition constitutionnelle. Après que le Corps législatif eut voté les premières lois nécessaires, on le mit en vacances ; le 10 germinal, la session fut close. Le Tribunal ne se réunit plus que deux fois par mois, pour faire acte de présence. La tribune était à peu près muette, mais un chuchotement, un murmure d’opposition s’élevait parfois dans les hauts milieux politiques et intellectuels, où l’acte de Brumaire avait trouvé ses premiers instigateurs. Sans parler des tribuns et des députés frondeurs, restés à Paris presque tous, le Sénat, l’Institut trouvaient décidément que le général tirait à soi trop de pouvoir ; ils lui reprochaient encore plus d’ouvrir trop largement la République. La tolérance envers les prêtres, la demi-tolérance envers les émigrés, l’introduction dans le gouvernement