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perte que vous exigez de moi un moment après me trouble et me décourage[1]. »

Faisant même la part de l’humilité, on découvre dans cette courte page le secret des combats qui se livraient encore dans cette âme de prêtre entre la vie de la grâce dont il aurait voulu vivre exclusivement et la vie du siècle par laquelle il se sentait parfois repris. « Il y a en moi, écrivait-il une autre fois dans une lettre particulière, un fond d’intérêt propre et une légèreté dont je suis honteux. La moindre chose triste pour moi m’accable ; la moindre qui me flatte un peu me relève sans mesure. Rien n’est si humiliant que d’être si tendre pour soi, si dur pour autrui, si poltron à la vue de l’ombre d’une croix et si léger pour secouer tout à la première erreur flatteuse. Mais tout est bon. Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire quand il nous fait lire dans notre propre cœur. Je suis à moi-même tout un grand diocèse, plus accablant que celui du dehors, et que je ne saurais réformer. »

Mieux instruits que ses contemporains, nous connaissons aujourd’hui le secret de ces luttes. Nous savons qu’il ne se passait guère de grand événement sans qu’il fît connaître son sentiment sur la conduite à tenir soit au duc de Beauvilliers, soit au duc de Chevreuse, par le canal desquels il espérait pouvoir faire arriver ses avis jusqu’au Conseil du Roi. Ce n’est cependant pas chez lui ambition personnelle. Il connaît trop les préventions de Louis XIV pour espérer jamais un retour de faveur. C’est la noble préoccupation du citoyen qui ne se désintéresse pas des affaires de l’État. Ainsi, au mois d’août 1701, il adresse au duc de Beauvilliers un mémoire plein de judicieux avis sur la politique que le Roi devrait suivre pour prévenir la guerre générale, désarmer la méfiance de l’Europe, maintenir les Hollandais dans la neutralité et accabler les Impériaux en les isolant. Rien dans ce Mémoire qui sente le bel esprit chimérique, pour reprendre le mot, plus ou moins authentique, de Louis XIV, et il eût été à souhaiter que, durant cet intervalle entre l’acceptation du testament de Chai les II et la guerre générale où la diplomatie française fut incertaine et vacillante, le Roi se fut inspiré davantage des conseils du prêtre.

Au commencement de l’année suivante, nouveau Mémoire,

  1. Œuvres de Fénelon, édit. de Saint-Sulpice, t. VI. Entretien effectif pour le jeudi-Saint, p. 63.