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plus tard. Saint-Simon s’indigne fort de cette indécence au sujet de laquelle, à l’en croire, le duc de La Rochefoucauld aurait fait des représentations au Roi, « qui ne répondit pas une parole[1]. » La simplicité de ce départ d’un jeune prince pour l’armée paraît cependant, à nos yeux modernes, de meilleur goût que ne l’aurait été un déploiement de pompe et de faste. La veille de son départ, « il donna audience chez lui à tous les courtisans qui vinrent prendre congé de lui, et il fit à toutes les dames l’honneur de les saluer. » Une joie dont tout le monde était frappé continuait d’éclater dans ses yeux, et, bien que sa séparation d’avec la Duchesse de Bourgogne eût été « douloureuse et tendre[2], » c’était encore la joie qui l’emportait, lorsque, le lendemain matin, à six heures moins un quart, ayant entendu la messe, il monta en chaise de poste. C’est qu’à l’insu de tout le monde il avait obtenu du Roi une permission vivement sollicitée, celle de s’arrêter à Cambrai, qui était sur sa route, et d’y voir Fénelon.


III

Il y avait cinq ans que les ordres rigoureux de Louis XIV retenaient dans son diocèse, loin de Paris et de la Cour, celui qui avait été pendant quelques années l’idole d’un petit groupe de femmes d’élite, et le précepteur des enfans de France ; cinq ans que, sauf deux lettres échangées au mois de décembre précédent, il était sans relations directes avec son élève chéri, et réduit à correspondre mystérieusement avec les rares amis qui lui étaient demeurés fidèles ; cinq ans enfin qu’il se consacrait sans relâche à l’administration d’un diocèse, tout nouvellement réuni à la France, dont les habitans, pour la plus grande partie, parlaient à peine le français, et avaient conservé, avec leurs anciennes coutumes, tous leurs préjugés contre les étrangers. Après avoir réduit ses adversaires au silence par la soumission et l’humilité avec laquelle il avait accepté sa condamnation dogmatique, il forçait leur admiration par l’ardeur et la conscience qu’il apportait à l’accomplissement de ses nouveaux devoirs. On trouve des preuves de sa sollicitude pastorale jusque dans des archives où l’on ne s’attend guère à les rencontrer. C’est ainsi que, dans une longue lettre qui est au Dépôt de la Guerre, il s’efforce

  1. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. X, p. 183.
  2. Damgeau, t. VIII, p. 396 et 397.