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eût fait une fortune considérable, s’il n’eût pas été tué devant Maëstricht en 1673. » Le nouveau d’Artagnan n’était cependant pas le fils, mais le neveu du héros d’Alexandre Dumas et de Courtilz de Sandras. Cadet de Gascogne, il était entré au régiment des gardes qui appartenait au duc de Gramont, son compatriote, et dont il fut longtemps major. Il était bon soldat, mais, s’il faut en croire Saint-Simon, il aurait su plaire au Roi non seulement par la connaissance qu’il avait des détails du métier, mais aussi parce qu’il lui rendait compte de beaucoup de choses « par les derrières, par des lettres et par des valets intérieurs de presque tous lesquels il se fit l’ami[1]. » Ce qui donnerait à croire que ces habitudes d’information secrète et détournées prises par d’Artagnan ne furent pas en effet sans influence sur la désignation du Roi, ce sont les termes mêmes de la lettre par laquelle Chamillart lui en faisait part. « Le Roy désirant, lui disait-il, être informé de tous les mouvemens que M. le Duc de Bourgogne se donnera, qui auront rapport à la guerre, et généralement de tout ce qu’il fera pendant qu’il sera à l’armée, je vous demande de m’en rendre compte, afin que je puisse en informer le Roi. Si même il y a quelque chose de particulier que vous vouliez qui ne soit vu de personne, vous pouvez vous assurer que le secret sera gardé inviolablement. » Et d’Artagnan lui répondait : « Je me rendray si assidu auprès de luy que je seray en état d’informer le Roy par vous, de tous les mouvemens qu’il fera pendant la campagne, ayant attention à le laisser s’exposer partout où il sera convenable et le priant de se retenir dans les petites occasions qui ne seront dignes ni de sa grandeur, ni de sa gloire[2]. Ce n’était donc pas seulement un conseiller militaire que le Roi avait entendu placer auprès de son petit-fils, c’était aussi quelque peu un surveillant chargé de le renseigner, et nous a errons d’Artagnan s’acquitter de ce rôle avec beaucoup d’exactitude.

Toutes choses étant ainsi réglées, il ne restait plus qu’à fixer le jour du départ du Duc de Bourgogne. Mais il fallait lui laisser le temps d’achever de gagner le jubilé de l’Année sainte, dont le Pape avait fixé l’ouverture en cette année 1702. Le Roi lui en avait donné l’exemple, ayant fait à Paris le plus grand nombre

  1. Saint-Simon, édit. Chéruel de 1876, t. VII, p. 388.
  2. Dépôt de la Guerre, 1553. Chamillart à d’Artagnan. 3 mars 1702 ; d’Artagnan à Chamillart, 8 mars 1702.