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furent celles qu’offrirent aux princes les Jurats de Bordeaux. La capitale de la Gascogne s’était mise en frais. Elle envoya à Blaye une flottille où les princes s’embarquèrent avec leur suite. Arrivés à Lormont, le point de vue parut si beau au Duc de Bourgogne qu’il voulut rester sur la proue du bateau et qu’il entreprit d’en faire le dessin. Ils passèrent quatre jours à Bordeaux, au milieu des fêtes, logés chez Mme la Première Présidente de Tresmes, sœur du marquis de Comminges. Plusieurs bals leur furent donnés, et le connétable de Castille, qui était venu présenter ses hommages au roi d’Espagne, disait hardiment « qu’il étoit impossible de s’ennuyer dans une ville où les dames avoient tant d’agrémens et où les plaisirs étoient en si grand nombre[1]. » Et le Mercure ajoute : « Les seigneurs ont trouvé assez de charme et assez d’esprit aux dames pour les croire dignes de leur souvenir. » Ces dames étaient en effet fort lettrées, à en juger du moins par la Présidente de Tresmes. C’est ainsi que, le Duc de Bourgogne lui ayant dit « qu’il se plaisoit fort à Bordeaux et qu’il n’en partiroit point tant qu’il feroit mauvais temps, » elle composa sur cela quatre vers dont le comte d’Ayen fit un air et qu’on ne cessa pas de chanter :


Frimas, noirs aquilons, venez à mon secours,
Opposez au soleil un pouvoir que j’implore.
Ah ! si vous arrestez les Princes que j’adore,
Plus sûrement que luy vous ferez nos beaux jours[2].


Il fallut cependant se remettre en route, car les Espagnols réclamaient leur roi. Après un court séjour à Bayonne, où le divertissement d’une course de taureaux leur fut offert, les trois princes arrivèrent à Saint-Jean-de-Luz. Le moment de la séparation approchait. Ici le journal du Duc de Bourgogne s’émeut. Pour la première fois on y trouve une note personnelle : « Le samedi 22 (janvier) qui fut le jour le plus triste de tout le voyage, nous partîmes de Saint-Jean-de-Luz sur les onze heures… Lorsque le duc d’Harcourt, qui étoit dans le carrosse du roi d’Espagne eut vu si tout étoit prêt, nous descendîmes et embrassâmes le roi d’Espagne pour lui dire adieu, en versant beaucoup de larmes[3]. » C’est tout, mais sous la sobriété des termes on

  1. Mercure de France, janvier 1701, p. 290.
  2. Ibid., p. 548.
  3. Curiosités historiques, t. II, p. 158.