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traverse, de prendre des notes sur tout ce qu’il voit, et de fixer dans son esprit les réponses aux questions qu’il a faites. Ces villes où il est reçu en grande pompe font partie de son futur royaume. Ces ouvriers dont il veut connaître les occupations habituelles, ce sont ses futurs sujets. Ces intendans, dont parfois, sans porter aucune appréciation, il mentionne les noms, seront un jour responsables vis-à-vis de lui de l’état de leurs généralités. Il veut se souvenir de tout ce qu’il aura remarqué au cours de ce voyage qu’il ne refera peut-être jamais, et sous l’écolier se devine déjà le prince.

Heureusement, au point de vue pittoresque, nous avons des récits plus animés, entre autres les lettres de Duché de Vancy, à ce moment gentilhomme attaché au comte d’Ayen, plus tard poète favori de Mme de Maintenon, dont l’érudition fleurie se donne carrière dans des descriptions assez fades, et surtout les numéros mensuels du Mercure Galant[1] dont chacun, de décembre 1700 à avril 1701, contient un Récit du voyage de Messieurs les Princes, car, en ce temps-là, les déplacemens princiers n’excitaient pas moins de curiosité qu’aujourd’hui, et le besoin d’information, pour être moins bien servi, n’était pas moins grand.

Harangues des corps constitués, banquets officiels, fêtes offertes par les municipalités, tel est, en tout temps et en tous pays, le fonds commun de ces voyages, et il y a sur ce point, d’un siècle à l’autre, moins de différence qu’on ne pourrait le croire. Cependant harangues, banquets et fêtes prenaient la forme du temps, et cette forme était beaucoup moins compassée qu’on ne se la représente. Malgré l’étiquette, il y avait, comme déjà nous l’avons remarqué à Versailles, toutes les fois que l’élément populaire entrait en scène, beaucoup de laisser aller, et, si l’on peut ainsi parler, de bon enfant. C’est ainsi qu’on trouvait fort drôle que le curé d’Arpajon, au lieu de lire un discours préparé, s’avisât d’entonner un air bien connu :


Les bons bourgeois de Châtres[2],
Et ceux de Montlhéry,


et, loin de le rappeler au respect, on ne faisait qu’en rire. Avec les harangues alternaient les madrigaux où les beaux esprits de

  1. Il se pourrait que quelques-uns des articles du Mercure fussent du même Duché de Vancy ; mais d’autres sont, comme on dit aujourd’hui, de correspondans particuliers.
  2. Châtres était l’ancien nom d’Arpajon.