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représailles. Une note officieuse, dont l’inspiration ou même la rédaction a été attribuée à M. de Witte, a tenu un langage presque menaçant : on a pu croire que le chancelier de l’Empire était sur le point de compromettre ses relations avec les autres puissances pour mieux obtenir les faveurs des agrariens. Mais, donnant donnant : le gouvernement n’entendait relever les tarifs que si les agrariens votaient les canaux. On est habitué depuis longtemps en Allemagne à considérer le gouvernement parlementaire comme un marchandage perpétuel, et, cette fois, les termes généraux du marché apparaissaient très nettement. M. de Bulow a fait plus encore. Les agrariens de l’Est se plaignent de l’insuffisante navigabilité de certaines rivières ; il a promis d’en régulariser le cours. Enfin, pour que tout le monde fût content, il a promis par surcroit la régularisation de la Lippe, qui traverse les circonscriptions catholiques. Les catholiques devaient donc voter le projet : n’y trouvaient-ils pas leur compte ? On voit que ce projet, comme l’a dit plus tard M. de Bulow, avait été fait « sur le principe d’une équité compensatrice dans le domaine économique : » aussi formait-il un tout ; il fallait l’accepter ou le repousser en bloc. Le gouvernement espérait qu’il serait accepté.

O ingratitude humaine ! il n’a pas tardé à s’apercevoir du contraire. Ce beau projet, qui se proposait de mettre les agrariens et les catholiques d’accord, les a mis d’accord en effet, mais contre lui. Ils en ont pris les uns et les autres ce qui les intéressait personnellement, à savoir la régularisation de quelques fleuves et rivières, et en ont rejeté le reste, c’est-à-dire les canaux. Cela s’est passé dans une commission : on n’est pas allé jusqu’en séance publique. Le gouvernement, se jugeant d’avance battu, a jugé inutile de se battre. Son chef-d’œuvre d’habileté s’était effondré. Il a pris le parti de prononcer la clôture de la session, un peu brusquement, un peu rudement, sans s’expliquer sur ses intentions ultérieures. On a parlé de dissolution, nous n’y croyons pas : à moins de la faire précéder d’une refonte complète de la loi électorale, le pays renverrait les mêmes députés. Autant les garder tels quels. Mais l’Empereur renoncera-t-il à ses canaux ? Nous ne le croyons pas davantage. Il prendra du temps, n’arrêtera des dispositions nouvelles, il fera d’autres projets, fera faire d’autres marchandages, et un jour on le verra revenir à la charge : mais rien ne prouve que ce soit avec plus de succès.

Quant à M. de Miquel, on l’a sacrifié, parce qu’il fallait un bouc émissaire, et aussi parce qu’il était devenu à un degré trop intime l’homme de la droite agrarienne. Déjà, il y a deux ans, lors de la discussion et