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Sur 162 000 ouvriers mineurs, il y en a plus de 100 000 qui ne sont pas syndiqués. Les syndicats peuvent prendre toutes les décisions possibles, distribuer des mots d’ordre, lancer des injonctions aux quatre vents du ciel, ces 100 000 ouvriers laissent faire, laissent dire et continuent tranquillement leur besogne quotidienne. Sans doute, dans un milieu surchauffé comme Montceau et où la tyrannie syndicale s’exerce les jours de grève par la force brutale, un trop grand nombre d’ouvriers non syndiqués, insuffisamment protégés par l’autorité publique, se voient obligés de se conformer au mouvement général ; mais, partout ailleurs, ils restent libres. On a beau leur envoyer des bulletins de vote ; ils les gardent dans leur poche et se tiennent à l’écart du scrutin. C’est ce qu’on a vu le 28 avril. En admettant que 10 à 12 000 ouvriers n’aient pas voté pour cause de maladie, d’absence ou d’indifférence, 100 000 au moins se sont abstenus sciemment et volontairement. Sur eux les syndicats n’ont pas de prise. Les chefs du parti ont dès lors fort bien compris que, s’ils cherchaient à leur imposer un mot d’ordre, la tentative serait vaine et n’aurait pour eux-mêmes d’autre conséquence que de manifester publiquement leur impuissance, avec des chiffres qui permettraient de la mesurer exactement. Ils n’ont pas voulu courir cette chance, et personne n’en sera surpris.

Mais leur principale raison de repousser un essai de grève générale en ce moment est qu’ils se rendaient compte de la parfaite inefficacité d’une arme qui n’était terrible qu’en apparence, et qui, en réalité, n’aurait eu, sur la société bourgeoise et capitaliste aucun des effets qu’on s’en promettait. On en parlait d’ailleurs depuis trop longtemps : toutes les compagnies qui usent du charbon avaient eu le temps de prendre leurs précautions, pour le cas où la menace de la grève aurait été finalement exécutée. La France n’est pas un des grands pays producteurs de charbon, et ce qu’elle en produit n’entre que pour une part relativement faible dans la consommation nationale. L’industrie houillère suffit chez nous à faire vivre un grand nombre d’ouvriers ; nous acceptons tel qu’on nous l’a donné le chiffre de 162 000 ; mais ces ouvriers y sont peut-être les principaux intéressés, en ce sens que, si le travail est interrompu dans les mines, ils ne touchent plus de salaires et voient leur Aie de famille cruellement éprouvée, tandis qu’il est facile aux consommateurs de charbon de se pourvoir ailleurs. Ils ont même le choix entre l’Angleterre et l’Amérique. Nous savons bien que, par suite des difficultés financières provoquées chez nos voisins par la guerre Sud-Africaine, un impôt de sortie a été mis sur le charbon.