Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait joint, aussi, une sorte de profession de foi poétique, où il nous montrait une jeune fille voyant surgir devant elle le fantôme de son fiancé mort. elle lui parlait, le caressait : puis, au lever du jour, le voyait disparaître, et tombait évanouie. La foule des voisins s’amassait autour d’elle.


« Faisons une prière ! » — disent les simples, — « ce doit être l’âme de Jean ! Il doit être revenu près de son amie, il l’aimait tant, quand il vivait ! »

Et moi, j’entends ces paroles, et j’y crois, et je pleure, et je récite mes prières, — « Écoute, fille stupide ! » — s’écrie alors un vieux savant. — « Crois-moi, croyez-moi tous, — il n’y a eu ici personne !

« Les revenans n’existent que dans l’imagination des sots. Cette créature débite des folies, et vous attentez à la raison en les prenant au sérieux ! »

Mais je lui réponds : « Cette jeune fille sent ce que tu ne vois pas. Et le peuple a raison d’y croire. Le sentiment et la foi me parlent plus haut que l’œil du savant avec ses lunettes.

« Tu sais les vérités mortes, que le peuple ignore. Tu vois le monde en poussière, tu connais le nombre d’étincelles qui forment une étoile. Mais tu ne sais pas les vérités vivantes, et jamais tu ne verras le miracle ! C’est le cœur seul qui le voit : c’est en lui seul qu’il faut regarder ! »


Ce poème était intitulé Romantisme. Et, en effet, le romantisme de Mickiewicz, à travers toutes ses transformations, ne devait point cesser de rester fidèle au principe affirmé dans les dernières strophes. Jusqu’au bout, le poète polonais devait continuer à proclamer la supériorité « de la foi et du sentiment » sur l’intelligence, de la même façon que devaient plus tard la proclamer Gogol et Nekrassof, Dostoïewski et le comte Tolstoï, tous les grands interprètes du génie des races slaves. Mais, au point de vue du choix des sujets et de leur traitement, le second recueil des poèmes de Mickiewicz, publié en 1823, attestait déjà une conception nouvelle de la beauté romantique. Nommé professeur dans un ennuyeux petit collège de petite ville, le jeune homme s’était distrait à lire Goethe, Schelling, Byron surtout, dont il avait très profondément subi l’influence ; et son second recueil ne contenait plus, à la suite de ses ballades, un Traité du Jeu de Dames dans le goût de l’abbé Delille. Il contenait un grand poème historique lithuanien, Grazyna, — qui venait en droite ligne des Lara et des Giaour, — et une sorte de drame fantastique, les Aïeux, imité à la fois de Werther, de Faust, et de Manfred. J’ajoute, au reste, que Grazyna, malgré de fort beaux vers, ne saurait être comparée aux modèles qu’elle imite ; les Aieux même, par l’excès maladif de leur exaltation, risqueraient de nous être aujourd’hui d’une lecture insupportable, si certaines strophes n’y avaient un charme exquis de jeunesse, de douceur,