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avoir dépeint les circonstances extérieures où s’est passée telle ou telle période de la vie du poète, il ne manque jamais à nous rendre compte des œuvres, petites ou grandes, venues au jour durant cette période. Il reconstitue pour nous l’exacte filiation chronologique de l’œuvre de Mickiewicz, en même temps que ses commentaires nous aident à en comprendre le sens et la portée. Nous voyons nettement, grâce à lui, la « courbe » qu’a suivie l’évolution du romantisme, chez un des plus curieux représentans du mouvement romantique. Et puisque, en l’absence d’une biographie complète et définitive de Mickiewicz, je ne puis songer à esquisser, comme je l’aurais voulu, un rapide croquis de sa personne et de son caractère, je vais au moins essayer de noter, d’époque en époque, la façon dont s’est constamment modifié en lui l’idéal poétique, sous la double influence de ses sentimens intimes et d’exemples nouveaux venus du dehors.


En 1818, Mickiewicz avait vingt ans. Il étudiait la littérature à l’université de Wilna, et déjà il avait communiqué à ses camarades de nombreux essais, contes, odes, peintures familières, où du reste l’emphase s’alliait à l’ingénuité, lorsque parvinrent à lui les ballades de Schiller. Elles furent la première apparition du romantisme à l’horizon de sa pensée, et eurent aussitôt sur lui une action très profonde. Dès l’année 1819, les odes, les épîtres en vers, les poèmes didactiques, devinrent à ses yeux de fastidieux exercices, — où longtemps encore, pourtant, il continua de se livrer, sans doute pour les leçons techniques qu’il en retirait. Et de tout son cœur il se mit à écrire des ballades, y mêlant d’abord, comme dans ses premiers poèmes, de pompeuses images et des sentimens enfantins. Mais bientôt son romantisme se trouva, en quelque sorte, consacré et légitimé. Le poète rencontra une belle jeune fille, l’aima, dut se résigner à la voir se marier avec un autre homme, et, dès ce moment, eut un motif pour s’entretenir dans la haine et la révolte contre sa destinée. Aussi ses ballades prirent-elles, dès ce moment, un accent tout personnel de sombre amertume, d’autant plus frappant que, par ailleurs, le poète s’efforçait de leur donner sans cesse un caractère plus national, plus local, plus populaire, y prenant pour héros des gentilshommes et des bergers de sa Lithuanie. Et déjà, dans quelques-unes de ces ballades, apparaissaient clairement sa force d’émotion, son adresse à évoquer des images pittoresques, mais surtout son merveilleux génie de musicien des mots.

Cette première série de ballades fut publiée en 1822. Le jeune homme y avait joint un poème didactique sur le Jeu de Dames. Et il y