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Aussi le romantisme de Mickiewicz se distingue-t-il de tous les autres par un accent spontané et profond, qui semble résulter moins d’une tendance littéraire que de l’instinctif élan d’un cœur passionné. Il est au romantisme de Schiller et d’Hugo ce qu’est, en musique, le romantisme de Chopin à ceux de Robert Schumann et d’Hector Berlioz : sans compter que la musique des mots y joue toujours un rôle prépondérant, une musique infiniment variée, nuancée, expressive. Mais à ces traits nationaux de son romantisme Mickiewicz ajoute, comme je l’ai dit, un scrupuleux souci de perfection formelle, qui achève de lui constituer une physionomie propre, dans le groupe des poètes romantiques de tous les pays. Il apparaît dans ce groupe, pour ainsi dire, comme le « parnassien » du romantisme, infatigable à surveiller la justesse de ses images et leur cohésion, l’harmonie de ses rimes, l’adaptation constante de la forme au ton et à la nature des sentimens exprimés. Tel, du moins, nous le montrent ses Sonnets, et tous les poèmes écrits durant son séjour en Russie. Et, avec tout cela, un tempérament personnel toujours très marqué, jusque sous l’imitation de modèles étrangers ; une originalité à la fois fiévreuse et réfléchie, revêtant tous les sujets d’une couleur nouvelle ; une âme essentiellement, exclusivement poétique, hors d’état de jamais penser ni parler en prose.


Cette âme, tout au moins, à défaut de l’œuvre qui en a jailli, mériterait d’être connue hors de sa patrie. Mais le malheur veut que, en Pologne même, personne ne soit encore parvenu à la bien définir. La biographie de Mickiewicz reste toujours à faire. Le fils aîné du poète, M. Ladislas Mickiewicz, a publié sur son père une foule de documens du plus vif intérêt ; un savant professeur, M. Kallenbach, a étudié, avec une conscience et une érudition remarquables, les sources et le progrès de son œuvre lyrique ; et le moindre de ses poèmes a donné lieu à d’innombrables recherches, dont plusieurs comptent parmi les meilleurs travaux de la critique polonaise. Seule, l’âme de Mickiewicz s’est dérobée, jusqu’ici, à tous les efforts des commentateurs. Personne n’est encore parvenu à la reconstituer, vivante, devant nous, à en dégager sous nos yeux les principaux élémens, à nous la rendre familière comme celle de Byron, de Gœthe, ou de Léopardi. En vain j’ai espéré en trouver enfin l’image dans les deux gros volumes de M. Chmielowski. J’y ai trouvé une reconstitution très intéressante des milieux divers où s’est tour à tour passée la vie du poète, depuis la maison familiale et l’école de Nowogrodek jusqu’au groupe « towianiste » de