Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formes, à toutes les époques de la douleur. Il veut de frêles dépouilles, une mort touchante plutôt qu’une glorieuse mort. Il n’est pas fait pour des héros. Que dis-je ? il semble, en dépit du texte, ne prier que pour une seule mémoire. Les voix ont beau chanter : Dona eis, « donnez-leur le repos », c’est : ei, au singulier, et au féminine que je crois, que je veux entendre : « Donnez-lui le repos, à elle. » C’est pour une jeune et douce morte que cette musique féminine prie. En ce Requiem indulgent, le Dies iræ ne se chante pas. Rien n’est terreur ni colère ; tout est amour. Les dernières pages rappellent vaguement le verset final du Stabat de Pergolèse : « In Paradisum... In sanctam civitatem Jerusalem... » Ces grands et beaux noms flottent dans une lumière douce, et, lorsque viennent les mots : » Cum Lazaro quondam parupere, Avec celui qui fut autrefois le pauvre Lazare, » ils sont notés si tendrement, qu’ils font pressentir et comme entrevoir l’éternelle réunion des malheureux et des bienfaisans, et qu’avec l’impression de la foi, de l’espérance, ils donnent encore celle de la charité.

Rien non plus n’est ici le désespoir, à peine la douleur : la tristesse plutôt, dont on a dit finement qu’elle « est une sorte de crépuscule qui suit la douleur[1]. » Ce que chante la musique un peu crépusculaire du Requiem, ce n’est pas l’ardeur et comme le midi dévorant, mais le soir apaisé de la souffrance ; c’est la commémoration plus que la présence et l’actualité de la mort.

S’il vous plaît d’en sentir le terrible aiguillon, et qu’il vous perce le cœur, rouvrez, comme nous venons de le faire nous-même, les deux premiers recueils de lieder de M. Fauré. Vous trouverez là quelques-unes des plus belles choses, des plus ingénieuses ou des plus émouvantes, qu’on ait écrites de nos jours et dans notre pays : les Berceaux, les Roses d’Ispahan, le Clair de lune (sur des vers absurdes de Verlaine), ou encore, sur des paroles italiennes : Levati, sol, che la luna è levata, un chant vraiment admirable et qui rappelle les plus pures canzones de la vieille Italie. Mais surtout, après le Requiem, et comme au sortir de l’église, allez jusqu’ « au cimetière. » Lisez la déchirante mélodie qui porte ce titre. Alors vous saurez à quel transport, à quelle violence la musique de M. Fauré atteignit un jour, et non plus quels soupirs, mais quels sanglots, quels cris lui peut arracher la douleur.

En inscrivant sur son dernier programme la symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns après la Messe en de Beethoven, la Société des Concerts a bien su ce qu’elle faisait. Elle a voulu montrer une fois

  1. Prévost-Paradol.