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éclate le plus souvent aux esprits, et aux oreilles. Préparations, résolutions, modulations, tout cela est cruel. Et, dans l’orchestre enfin, les timbres ne se combinent pas avec plus de bonheur, plus de logique et plus d’aisance que les notes dans les accords. Tantôt surchargé, tantôt malingre, l’orchestre de M. Bruneau s’encombre de sonorités épaisses, à moins qu’il ne s’éparpille et se dissolve en petits bruits mesquins. Les violons y multiplient d’insipides exercices, et la clarinette y pousse les gloussemens les plus contraires à sa nature. En un mot, dans cette instrumentation incohérente, les instrumens, isolés ou réunis, manquent également, et continuellement, de valeur expressive et de spécifique beauté.

« J’en conviens, dira quelqu’un ; j’accorde tout cela et « je vois les défauts dont votre âme murmure. » Mais vous-même, accordez au moins quelque indulgence, bien plus, quelque sympathie, à l’œuvre qui témoigne d’un si grand, d’un si pénible effort. » Le malheur, c’est que l’effort, estimable, admirable même dans l’ordre du bien, ne signifie rien dans l’ordre de la beauté, rien que la négation, ou la destruction de la beauté même. Oh ! oui, cette musique, à chaque page, à chaque mesure, atteste un travail effrayant ; elle le révèle, elle le crie. Il n’est pas un élément, pas une force qui n’ait opposé à l’ouvrier laborieux, mais inhabile, une résistance opiniâtre, hélas ! et victorieuse. Toutes les énergies sonores se sont révoltées contre l’imprudent, sinon l’impuissant, qui s’était flatté de s’en rendre maître, et nous n’avons assisté qu’à leur triomphe et à sa défaite. Si c’est un métier, — et c’en est un, bien que ce soit autre chose aussi, — de faire non seulement un livre, mais un opéra ou une symphonie, enfin de faire de la musique, il n’est personne qui sache moins bien ce métier-là que le musicien de l’Ouragan ; excepté, nous le répétons en finissant, le musicien de Messidor.

Et maintenant parlons de beauté.

On a parfois qualifié de grise la musique de M. Gabriel Fauré. Pour son Requiem, du moins, joué le Vendredi-Saint an Conservatoire, il peut accepter le mot, en bonne part. Du gris le plus fin, d’un gris d’argent, ce Requiem est délicieux de tendresse et de mélancolie.

S’il y a des œuvres de M. Fauré, comme la Bonne Chanson, qui nous paraissent l’exagération regrettable et comme le paroxysme, la quintessence de sa manière, celle-ci nous en semble, au contraire, l’essence et la perfection même. Ici la distinction et la délicatesse, l’aisance et le charme se trouvent partout, eu chaque élément de la musique.

Cet orchestre est simple, il est solide et il est doux. On croit, dès