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des gentilshommes ennemis, courbés un moment sous sa main. Plus d’une page du Pré aux Clercs : le troisième acte entier, le récit fait par Mergy de son ambassade, atteignent également à la grandeur et à la vérité historique.

Ainsi les « genres » sont peu de chose, si même ils sont quelque chose ; rien ne compte, ou peut-être n’existe, que les œuvres. Il en est, parmi les plus belles, les plus chères, que de temps en temps on croit mortes. C’est une joie de s’assurer qu’elles vivent encore.


Bossuet a raison : « Nous n’égalons jamais nos idées, » et je ne réussirai pas sans doute à dire de l’Ouragan autant de mal que j’en pense. Il me semblait, avant Messidor, mais, depuis Messidor et depuis l’Ouragan même, qui pourtant vaut mieux, je crois fermement que de tous nos musiciens celui qui peut faire aujourd’hui la plus vilaine musique est M. Alfred Bruneau.

L’Ouragan, qui rappelle vaguement le Vaisseau-Fantôme par la navigation, et par l’adultère et l’inceste la Valkyrie, ne ressemble ni à l’un ni à l’autre de ces deux ouvrages par la poésie ou par la musique. C’est une tragédie, ou un mélodrame de famille ; quelque chose comme les Frères et aussi les Sœurs ennemies. Cette double « Thébaïde » se déroule dans une île du Nord : Goël, vague pays de pêcheurs, qui, d’après les costumes, paraît être le pays des phoques ou des morues. Là, Jeannine et Marianne, les deux sœurs, aimèrent autrefois Richard, l’un des deux frères. Mais Richard, aimant aussi Jeannine et redoutant Marianne, résolut de les fuir toutes deux et s’en alla sur la mer. Marianne resta fille et Jeannine, de désespoir, épousa Landry, l’autre frère. Triste hymen et fécond seulement en malheurs : ivrogne et brutal, Landry bat sa femme et boit son bien. Marianne, au contraire, a prospéré dans un célibat orgueilleux et dans l’entreprise ou même l’accaparement des pêcheries. Devenue la reine du pays, elle achève d’écraser de son mépris Jeannine accablée déjà de misère. Et l’une et l’autre se souviennent ardemment de Richard, et ce commun souvenir met entre elles plus de haine encore.

Un soir que l’ouragan menaçait, un navire aborde le rivage de l’île. Un homme en descend, que suit une petite sauvagesse. C’est Richard. Il s’était juré de ne jamais revenir, mais l’invincible amour l’a ramené, de son île adoptive et vermeille, vers son île natale et sombre. Jeannine tombe dans ses bras, lui conte ses infortunes et le supplie de l’y soustraire. Il promet, l’ouragan se déchaîne, et c’est le premier acte.