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Scribe leur ont imposé l’intrigue compliquée et surtout artificielle. Le résultat a été ce système éminemment composite, fait d’élémens discordans et de pièces de rapport, où l’auteur nous achemine sans doute vers une situation tragique, mais en prenant par le chemin le plus long, le plus fertile en détours, en ayant soin d’égayer la route de mille manières. La comédie de mœurs ainsi constituée fait parmi les espèces littéraires assez médiocre figure ; c’est tout le contraire d’un organisme harmonieux mû par un principe intérieur. Cela explique que le genre se soit si vite désorganisé et qu’il n’ait guère survécu à la disparition de ceux qui l’avaient créé et lui apportaient par surcroît le secours de leur rare talent. L’assaut a été donné à la comédie de Dumas et d’Augier par les auteurs du Théâtre-Libre ; mais, par la manière dont ceux-ci ont servi la cause du réalisme au théâtre, on pouvait craindre qu’ils ne l’eussent gravement compromise. On commence à voir aujourd’hui quel a été l’effet de leur campagne, et il est tout à fait digne de remarque. C’est à eux qu’on doit la triomphante rentrée en scène du vaudeville, qui est le fait significatif de ces derniers temps : par dégoût de la brutalité qu’ils ont affectée et par réaction contre le théâtre morose, le public d’aujourd’hui se rejette furieusement vers le théâtre où l’on s’amuse et les auteurs se découragent de donner aucune œuvre sérieuse. C’est pourquoi il faut savoir gré à l’auteur de la Course du flambeau de s’employer pour sa part à ramener le théâtre dans la voie qui est la meilleure, étant la voie traditionnelle. Il reprend à son compte la tentative de la tragédie bourgeoise. Il en a conçu l’idée avec plus de netteté, de décision et de précision qu’on n’avait fait avant lui. Il met à son service les ressources d’un art très personnel et très volontaire.

M. Paul Hervieu est un moraliste, un des plus âpres qui soient ; il a sa conception de la vie, une des plus sombres qui se puissent imaginer. Voici à peu près comme il se représente le train de notre pauvre monde. La nature n’a en vue que la conservation de l’espèce ; elle a mis en nous des instincts, qui ne sont par eux-mêmes ni bons ni mauvais, mais qui sont seulement utiles à la perpétuité de la race ; réduite à ces instincts, on dit que l’humanité est dans l’état de barbarie. Cette barbarie primitive, l’humanité s’efforce donc de la masquer et c’est l’objet même du travail des siècles ; elle la recouvre de l’ingénieux échafaudage que font la religion, la morale, les codes de l’honneur et de la politesse. Elle la masque, elle la recouvre, elle ne la supprime pas. Le vieux fond subsiste quand même sous le léger vernis de la civilisation. Il parvient sans doute à se dissimuler dans