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subi une grêle un pou sérieuse est assuré : 1° de ne compter sur aucun bénéfice de récolte pour l’année courante ; 2° de voir pour l’année suivante la vendange diminuée, parce que la vigne est encore convalescente et le sol empoisonné ; 3° d’être obligé encore à redoubler de soins, et cela en pure perte, à l’égard d’un vignoble improductif. Situation peu consolante, comme l’on voit[1] !

Comme remède relatif, très relatif, on a indiqué la pratique de la taille après la grêle. Mais, excepté les discussions de résistance phylloxérique et d’adaptation des cépages porte-greffe, aucune question viticole n’a engendré de controverses aussi âpres que celle-ci. C’est ce qui doit arriver, du reste, toutes les fois que le sujet traité échappe au domaine exclusif de la théorie et de l’absolu, pour ressortir uniquement à la pratique et à l’expérience. Or, tel est le cas.

Supposons donc une vigne abîmée par la grêle, mais par une grêle précoce, au mois d’avril ou de mai, par exemple. L’agriculteur prendra vite son parti ; il se mettra au travail le plus tôt possible et retaillera en vert la vigne, laquelle aura, il est vrai, prodigué ses forces en pure perte durant plusieurs semaines, mais n’aura pas encore épuisé ses réserves. Débarrassée de ses organes meurtris, redevenue saine, la souche pourra prendre le dessus, réagir, pousser du bois, l’aoûter à fond, si l’année est favorable, et produire même une demi-récolte d’assez bonne qualité, bien que tardive, qui récompensera en partie le propriétaire de ses débours. L’hiver suivant, la taille pourra se faire à peu près dans les conditions normales. Il est certain, d’ailleurs, que l’effort supplémentaire qu’on aura demandé au végétal blessé mérite salaire, sous forme de fumier, travaux et traitemens.

Imaginez, au contraire, une grêle survenant au mois d’août. À cette époque, la vigne a dépensé toutes ses réserves pour émettre son bois, produire ses feuilles, développer son fruit ; sa provision de sève commence à s’épuiser. Quiconque possède quelques notions agricoles n’aura jamais l’idée de retailler à fond : ce serait vouloir tuer le cep malade. Tout au plus cherchera-t-on

  1. La gelée amène assez souvent des désastres généraux, qui peuvent, par leur universalité relative, faire monter le prix des vins. De là un petit renchérissement susceptible d’adoucir un peu le déchet de récolte. Mais la grêle, catastrophe locale, ne fait pas vendre plus cher le peu de vendange respectée. De plus, le vin d’une vigne gelée conserve sa qualité ; celui d’une vigne grêlée est de nature suspecte.