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décrites par La Bruyère, — dont on ne nous épargnait pas du reste la citation, — grattant d’un hoyau démanché la terre rebelle ; Après, un heureux gaillard épanoui dans la joie de vivre, frais et dodu, redressé, n’ayant plus qu’à cueillir les fruits que le sol mêle spontanément aux fleurs, et qui se promenait, j’allais dire la canne à la main, parmi la nature riante. Et non seulement, avant, la terre était ingrate, mais le ciel même était chargé de nuages ; il pleuvait, ventait, tonnait ; et non seulement, après, la terre était féconde, mais le ciel était inondé de soleil, dans la paix sereine d’un azur sans tache. Il ne manquait à l’idylle que des anges jouant, en un coin, de la flûte ou de la cithare : mais on devine peut-être pourquoi l’auteur n’en avait pas mis ! Ne l’oublions pas : c’était le seul hommage que ce fameux positiviste rendît ici à la réalité.

Donc, pas de miracle politique ; il pleuvait avant, mais il pleuvra encore après : et sous le soleil il peut y avoir du nouveau, mais le soleil lui-même n’est pas nouveau. — Une fois l’esprit libre de métaphore et de métaphysique, le sens de l’organique et de l’historique, le sens du continu reconquis, et, pour tout dire, s’étant mis dans la disposition nécessaire, on passera alors à l’observation. La première qualité du politique réaliste, c’est de bien voir. Bien voir, c’est voir ce qui est, ne pas voir ce qui n’est pas, voir les choses comme elles sont, où elles sont, sous leurs divers aspects, en elles-mêmes et dans leur rapport entre elles, en leurs proportions et à leur plan. Pour bien voir, ne pas regarder trop loin, ni regarder de trop près, ni au télescope, ni au microscope, ne se servir ni de verres grossissans, ni de verres de couleur. C’est le travers ordinaire et le commun péché des philosophes, même positivistes, de donner inconsciemment et comme naïvement des entorses à la réalité pour la faire rentrer dans leur système ; s’ils sont en désaccord sur quelque point, la réalité a tort et non point le système ; un coup de pouce, elle entrera. Ainsi telle ou telle secte nie le phénomène religieux, et, parce qu’il la gêne, se refuse à le reconnaître ; mais, au contraire, que doit faire la politique expérimentale ? Admettre ce fait qui, pour être idéal, n’en est pas moins réel, qui est un fait social, et dont, à ce titre, il n’est pas permis à la politique de ne pas tenir compte, sous peine de n’être plus ni réaliste, ni scientifique. Aussi bien, la philosophie positive est une chose et la politique réaliste une autre chose. Rien n’empêche même qu’on