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III

Il y faut revenir dans la pensée et dans l’action, dans la science et dans la pratique ; mais, dans l’une et dans l’autre, re- tourner à la politique réaliste, à la politique expérimentale, c’est prendre l’habitude de se reporter sans cesse à l’histoire. Elle est la maîtresse de la vie et l’école de la politique. Il n’y a point de politique actuelle à laquelle toute l’histoire ne soit sous-jacente, qui puisse s’isoler ou se séparer d’elle, qui ne s’y rattache et n’y tienne par tous ses fils, qui ne soit ou en adhérence avec elle ou en pleine incohérence. Même lorsqu’elle semble innover, et qu’on dirait quelque commencement, la politique est toujours une suite, et n’est qu’un temps de l’histoire : il ne naît pas ainsi « d’ordres nouveaux des choses. » et leurs ordres anciens ne disparaissent pas ; la politique ne se crée pas, l’histoire ne se perd pas ainsi ; Πάντα ῥεῖ, la politique, c’est l’histoire qui coule. — D’où l’axiome : Pour faire la politique, connaître l’histoire. Dira-t-on que nous en connaissons peu, et que ce peu encore, nous le connaissons mal ? Il est possible, il est même certain ; mais ni Machiavel, ni Guichardin, ni aucun des ambassadeurs florentins ou vénitiens n’en savait davantage ; bien moins encore ; et ce furent pourtant des politiques expérimentaux, qui surent tirer d’une histoire imparfaite une science politique vraie. Ce furent de vrais politiques, parce que ce furent de vrais réalistes en politique. Le romantisme politique nous est venu d’ailleurs, mais la politique réaliste nous vient d’eux ; c’est elle qui, par eux, est classique pour nous ; il est chez nous d’importation anglo-saxonne ou germanique, mais elle est indigène, latine ; elle est de chez nous, elle est nous-mêmes ; si nous voulons enfin revenir à nous, c’est à elle que nous devons revenir.

Mais revenir au réalisme politique et s’y tenir, à la vérité, cela n’est point aisé. Car cela suppose d’abord qu’on a pu mettre son esprit dans cet état de grâce spécial que réclame la politique expérimentale, c’est-à-dire le purger de toute métaphysique : il ne servirait en effet à rien d’avoir une bonne méthode, si l’instrument lui-même était faussé. Mais, si difficile que cela soit pour tout le monde, cela, quoi qu’on en dise, n’est cependant pas plus difficile pour nous que pour d’autres : cette aptitude au réalisme politique, nous l’avons eue, — tant de grands noms en