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coulée de Serrant ; vignes de la Saintonge et de l’Aunis, abondantes mamelles du vin des côtes qui plaît aux bourses modestes et satisfait le palais bourgeois ; vignes du Médoc et du Bordelais, grandes dames et riches propriétaires, « châteaux » à tourelles, crus illustres, contemporains du siècle dix-huit, au temps où le président Montesquieu vous lançait près de ses amis de la cour et de la ville ; robuste démocratie des clarets, conquérans de l’Angleterre, de la Belgique, de la Hollande et de tous les pays du Nord ; vignes du Midi, champs infinis, étendues banales à force d’être immenses, — raisins noirs, vins rouges, bons pour le peuple et pour le coupage, mais qui, dans une heureuse année, faites suer, à cette terre grillée du soleil, et même à la lande, même à la dune, même au marais du bord de l’eau, plus d’or sous un rayon de soleil que la houille et le travail humain n’en arrachent, dans le même temps, aux noires entrailles de la terre ; vignes du Rhône, ecclésiastiques et savoureuses ; et vous, enfin, vignes de la Saône et de la Seine, Beaujolais, Chalonnais, Côte-d’Or, Bourgogne, vins faits pour les papes et pour les rois, grands noms, armoriai impeccable, vins francs, vigoureux, généreux, Beaune, Nuits, Meursault, Pomard, Corton, Chambertin, l’Hôpital, — vous qui faites à l’homme un habitat si doux, un travail si sain, une humeur si gaie, grands vins qui vivez un siècle et petits vins, ginguelets, qui ne durez qu’un hiver et dont on ne fait qu’une lampée ; vignes de France, vignes de Gaule, vos qualités et vos défauts sont ceux du sol et ceux de l’homme qui vous cultive. « La vigne en terre, la voilà, la jolie vigne, » comme dit la chanson ; c’est elle qui fait la France. Qu’on la montre avec orgueil, qu’on la défende avec courage, qu’on la soigne avec amour ; car, sans elle, la France se transforme, s’attriste, s’étiole et disparaît.

Le vigneron est vigoureux, laborieux et tenace. Le vigneron est toujours en peine. Il est penché vers la terre. Le sol exerce sur lui une attraction si forte qu’il s’incline pour le saisir de plus près et que son corps en reste courbé. Il n’y a que le vigneron français que l’on voie ainsi plié en deux, dans sa vieillesse, par le travail de la houe.

Il est, plus encore que l’herbager, propriétaire et petit propriétaire, car la terre de vigne coûte cher et le labeur est constant. Il est donc étroitement attaché au sol ; mais il l’aime plus pour le travail que pour la possession. Il tient plus à la vigne qu’au pays. Qu’on lui donne quelque part, en Algérie ou en Tunisie,