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Florus, qui, tout en se faisant un grand renom dans le barreau, a trouvé le temps de composer la biographie d’un personnage important de cette époque, et il encourage les autres à l’imiter. On peut en conclure, à ce qu’il semble, que Tacite, qui parle par la bouche de Messalla, se proposait d’imiter Julius Florus et qu’il songeait sans doute à mêler, lui aussi, quelques études d’histoire à ses travaux ordinaires. S’il ne l’a pas fait, c’est que la politique et les affaires ne lui en laissèrent pas la liberté : elles ne vous lâchent plus, une fois qu’elles vous ont pris, et l’on devient leur esclave, dès qu’on s’est fait leur serviteur. Il fallait des événemens imprévus pour que Tacite leur échappât et qu’il lui fût possible de s’abandonner à ce qui était son goût instinctif et ce qui a fait sa gloire.

Ces loisirs qui lui manquaient, la tyrannie de Domitien les lui fournit. Pendant trois ans, il n’occupa aucune magistrature, et on vient de voir qu’il se tint soigneusement à l’écart des affaires publiques. Il allait au Sénat, comme les autres, quand il était convoqué ; mais, outre que, dans le sénat de Domitien, on ne parlait guère, lui, s’était condamné par prudence à ne pas parler du tout. Ce silence, on le comprend, lui pesait. C’est un cruel déplaisir pour un politique à qui tout a réussi jusque-là, et qui compte que l’avenir lui réserve encore de plus grands succès, de se voir tout d’un coup arrêté en pleine réputation, en pleine fortune. Il a parlé avec une amertume éloquente, au début de l’Agricola, de ces belles années perdues, pendant lesquelles un homme dans la force de l’âge sent qu’il arrive peu à peu à la vieillesse, et qu’il risque de n’être plus, quand l’orage sera passé, « qu’un survivant de lui-même. » Actif comme il l’était, d’un esprit ouvert et curieux, il ne pouvait rester sans rien faire. Mais qu’a-t-il fait réellement ? il n’est guère probable qu’il se soit occupé de l’éloquence, qui avait été jusqu’à ce moment sa plus grande passion. L’éloquence est un art qui ne se suffit pas à lui-même ; il suppose un public, et l’on ne prépare pas des discours qu’on n’aura pas l’occasion de prononcer. Mais il y a d’autres études qui s’accommodent de la solitude et du recueillement, auxquelles on se livre pour se contenter soi-même, dont on jouit chez soi, sans avoir besoin de les communiquer à personne. L’histoire est de ce nombre : on peut toujours, avec quelques bons livres, se donner le spectacle du passé, quand on veut détourner sa pensée du présent. Il y avait d’ailleurs une raison particulière