Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout ce que nous en connaissons nous vient d’une inscription récemment découverte en Carie, et qui prouve qu’il ne s’est jamais désintéressé du service de l’Etat. Elle nous apprend que, vers la fin du règne de Trajan, il était proconsul de la province d’Asie, ce qu’on regardait comme une des plus grandes situations de l’empire. A partir de ce moment, nous ne savons plus rien de sa carrière politique[1].

Mais une autre carrière avait commencé pour lui ; en même temps qu’il reprenait ses occupations anciennes, il s’en donnait de nouvelles. Moins de deux ans après la mort de Domitien, à peine au sortir de son consulat, quand il était plus que jamais engagé dans les affaires, il publie ses premiers livres d’histoire.

Comme il est avare de confidences, il n’a dit nulle part ce qui l’avait décidé à le faire et quelles raisons l’ont amené, tout en restant orateur, à devenir historien, mais il me semble qu’il est facile de les soupçonner. Avant tout, il faut admettre qu’il devait avoir un goût naturel pour l’histoire, et qu’il est probable qu’il ne l’a jamais négligée. Dans cette éducation large que Messalla recommande aux jeunes orateurs, et que Tacite a su se donner à lui-même, l’histoire avait certainement sa part. Qu’il ait lu les grands historiens de Rome, Salluste et Tite-Live, et qu’il les ait fort admirés, on n’en peut douter, puisqu’il les a souvent imités dans la suite. Mais il a aussi étudié les autres, même ceux de l’époque républicaine, qui étaient peu connus, et auxquels il trouve qu’on ne rend pas assez justice. Il a eu l’occasion d’en citer un, Sisenna, à propos du fait qu’il rapporte. Ceux dont il ne parle pas lui ont servi pour ces digressions dont il nous dit qu’il les a tirées de la mémoire du passé, ex veteri memoria petita. Il semble même, à quelques indices, qu’il ait eu déjà, dans sa jeunesse, l’idée d’écrire des ouvrages historiques. Dans ce passage du Dialogue où Messalla félicite ses amis de ne pas se borner à plaider devant les juges ou à déclamer dans les écoles, mais de se livrer aussi à d’autres exercices « qui nourrissent l’esprit et lui donnent un agréable divertissement de science et de littérature, » il loue en particulier l’un d’eux, Julius

  1. On ignore tout à fait en quelle année Tacite est mort. De ce qu’il n’a pas écrit, comme il l’avait annoncé, la vie d’Auguste et l’histoire de Nerva et de Trajan, on ne peut guère conclure, comme on le fait d’ordinaire, qu’il n’ait pas survécu à l’achèvement des Annales. Beaucoup de raisons peuvent l’avoir empêché de tenir sa promesse.