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troisième ministère. — Comment concilier ces contradictions ?

Demandez-en le secret au sosie qui parle pour lui, du haut des nues où il plane sur cette société, bien au-dessus des pairs d’Angleterre ; à ce demi-dieu omniscient, omnipotent, le grand banquier juif Sidonia. Imploré par tous les rois, maître du globe par son intelligence supérieure, autant et plus que par ses trésors inépuisables, ce Salomon moderne sait tout de l’univers ; il en a parcouru chaque région, il a interrogé tous les peuples dans leurs langues, il a scruté leurs besoins et leurs intérêts. — « Doué d’une rare pénétration, exempt de préjugés, comme tous les hommes sans patrie..., il était seigneur et maître des transactions d’argent, et partant seigneur et maître de toutes choses. » — Toutes les admirations de Disraeli s’exaltent, quand reparaît dans ses fictions cet enfant chéri de son génie, le type surhumain en qui il glorifie sa race. Lorsqu’il modèle la noble et séduisante figure d’un Coningsby, d’un Egremont, d’un Lothair, d’un de ces fils de lords qui gouverneront l’Angleterre en l’éblouissant de leur faste, on sent que l’ancien petit clerc se dit : Je serai un de ceux-là, un des premiers sur la terre, je le serai sûrement et facilement. — Dès qu’il revient à l’incomparable Sidonia, on croit entendre ce cri vers l’impossible : Je voudrais être celui-ci, l’homme du miracle, aussi supérieur aux autres que Moïse ou Josué le sont à Bolingbroke ou à Chatham.

Le romancier donne à ce sage opulent les origines de sa propre famille. Comme Isaac Disraeli, Sidonia est un descendant des Juifs chassés d’Espagne, établis pour un temps en Italie ; citoyen du monde, il a choisi le libre sol anglais pour y installer le siège principal de ses opérations. Ce royaume est dans sa main, comme tous les autres ; mais il ne peut encore le gouverner. Des prohibitions surannées éloignent les Israélites du Parlement. La brèche leur sera bientôt ouverte par l’éloquence du chancelier de l’Échiquier, Benjamin Disraeli. La barrière légale qui se dresse devant Sidonia, demeuré fidèle au Dieu des ancêtres, n’existait pas pour lui ; son père, homme avisé, avait abjuré, il avait fait baptiser Dizzy à l’âge de treize ans. De cette greffe d’anglicanisme, entée sur le vieux tronc hébraïque, il résulta un singulier compromis de sentimens et de doctrines.

Les romans en témoignent ; tous les personnages y dissertent sur la philosophie, sur la théologie ; l’auteur se prononce par leur bouche, il nous découvre les parties changeantes et le fond immuable