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montre, au contraire, que la certitude mathématique peut être remplacée par l’adhésion morale appuyée sur des « signes, » mais non complètement justifiée par eux. — Spinoza se heurte surtout à l’Eucharistie, sacrement scandaleux pour l’entendement, différent, par l’essence, de tous les autres, mais qui est, à le bien voir, la pierre de touche de la vie chrétienne. C’est, dans la religion, ce qu’il y a de plus inintelligible, et ce qui est postulé le plus nécessairement par la pratique. La connaissance par l’entendement offre, certes, à quelques élus, la possession intellectuelle de Dieu, mais ne faut-il pas admettre une autre communion, si, comme le croit Spinoza, la vie religieuse est accessible à tous, si la soumission peut remplacer la raison ? Mais a-t-on jamais le droit d’en appeler du texte d’un auteur à sa croyance intime ? Ce que vous écrivez, ce que vous dites, ce que vous faites est livré au public, le reste est réservé. Spinoza se fit-il chrétien ? Il fit plus, il fonda en raison la vie chrétienne.


VII

Son ouvrage fut moins lu que réfuté. Il fit scandale, en Allemagne d’abord, plus encore qu’en Hollande[1]. Dès son apparition, on prononça contre lui, à Leipzig, des harangues publiques, et la tradition se garda dans les Universités allemandes, à Tubingue, à Iéna, à Marbourg, à Altdorf, à Francfort-sur-l’Oder, à Kiel, à Herborn, à Rostock, à Greifswald, de réfuter Spinoza en le confondant, au hasard, avec Jacob Böhme, avec Hobbes et Cherbury, avec les kabbalistes, ou plus simplement avec les « déistes, » qu’avait inventés le P. Mersenne[2] ; après la publication de l’Éthique, on changea le plus souvent l’appellation de « déiste » contre celle d’ « athée », en attendant « panthéiste. » — A Utrecht, le livre fut interdit dès 1671 : un certain Jean Melchior écrivit contre lui des Lettres à un ami, et Régner de Mansvelt en prépara une réfutation que la mort interrompit. Mais cette opposition ne se changea en haine qu’après la Révolution de 1672, au moment de l’atroce réaction contre les républicains. L’appel à l’intolérance vint d’un étranger, de Stoup, et un homme qui avait auparavant demandé l’amitié de Spinoza,

  1. Il se donnait faussement comme imprimé à Hambourg.
  2. Wachter, De recondita Hebræorum philosophia, 1706, ouvrage sur lequel Leibnitz écrivit des notes.