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IV

La connaissance par l’imagination n’a pas, comme la connaissance par l’entendement, sa certitude en elle-même. Elle a besoin d’un signe qui la confirme. Abraham, Gédéon, demandent à Dieu un signe. Moïse ordonne aux Hébreux d’exiger des signes de tous leurs prophètes. Ces signes, ce sont, en général, des miracles. On a si bien obscurci la question des miracles qu’il est devenu presque impossible de s’entendre. Cela tient d’abord à ce qu’on a multiplié outre mesure le nombre des miracles, sans tenir compte des habitudes d’une langue qui dit : « Dieu a ouvert les fenêtres du Ciel, » pour dire : il a beaucoup plu ; sans tenir compte surtout de la difficulté qu’ont les gens de médiocre culture à exprimer simplement un fait. Si le jour a été plus long que de coutume, bien peu de personnes diront : « le jour a été plus long que de coutume, » presque toutes diront : « le soleil a suspendu son cours. » Que sera-ce, si, au lieu de raconter ce fait, elles le chantent par la poésie ! On peut tenir en principe qu’il n’y a de vrais miracles que ceux qui servent à confirmer une doctrine.

Mais voici surtout, selon Spinoza, d’où est sorti le débat : l’idée qu’on se fait du miracle a été bouleversée du jour où l’on a conçu des lois naturelles. C’est une conception récente. Les auteurs des Livres saints y étaient parfaitement étrangers. Ils ne considéraient aucun fait comme nécessaire ; tout, pour eux, était miracle, au sens moderne du mot. Ce qu’ils appelaient miracles, c’étaient des faits destinés plus que d’autres à frapper l’imagination, des faits, en un mot, « qu’on ne comprenait pas, » le vulgaire croyant comprendre suffisamment une chose, quand elle a cessé de l’étonner. De tels faits servaient de preuves, car on les rapportait à une cause extraordinaire, à Dieu lui-même. Mais, aujourd’hui, ils ont perdu pour nous leur force probante. Un miracle, de quelque façon qu’on le prenne, qu’on y voie une rupture dans la série des causes efficientes, ou l’introduction d’une finalité particulière, qu’on l’imagine contraire à la nature ou supérieur à la nature, nous ne disons pas avec les rationalistes que ce soit une chose inintelligible, nous disons qu’il nous est impossible de l’attribuer à Dieu. C’est des faits ordinaires, naturels, que nous lirons maintenant notre