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Epitres déjà ne sont plus l’énoncé pur et simple d’une révélation, mais un premier essai de transcription en langage abstrait.

Ainsi, à part Jésus, la révélation faite aux prophètes n’était pas une connaissance par la pensée, mais une connaissance par les sens, ou, dans la langue de Spinoza, par l’imagination. Pour être prophète, il ne fallait pas avoir, ainsi que le prétend Maïmonide, une âme plus parfaite, mais seulement une sensibilité plus vive. Aussi les prophéties ont-elles varié suivant le tempérament, la condition de chaque prophète, suivant les opinions dont il était imbu. Si le prophète était d’humeur gaie, il ne lui était révélé que victoires ; d’humeur triste, que guerres, supplices et malheurs. Amos, qui est un paysan, ne voit que bœufs et vaches ; Isaïe, homme de cour, ne voit que trônes. Zacharie, faible imagination, eut des révélations si obscures qu’il fut incapable de les comprendre sans une explication, et Daniel, même avec une explication, ne put comprendre les siennes. La révélation s’appropriait à chacun. Aux Mages, qui croyaient à l’astrologie, la nativité du Christ fut révélée par l’image d’une étoile. Les augures de Nabuchodonosor virent la dévastation de Jérusalem dans les entrailles des victimes. Jamais la révélation n’a rendu un prophète plus instruit. Elle n’a pas appris à Josué le phénomène des parhélies ; ni à l’architecte du Temple, que le rapport de la circonférence au diamètre n’est pas exactement de 3 à 1 ; ni à Noé, qu’il y avait des habitans hors de la Palestine. Elle n’a même, remarquons-le, jamais instruit personne de la vraie nature de Dieu. Spinoza fait habilement la psychologie de Moïse, ou, comme nous disons aujourd’hui, du rédacteur jéhoviste. Cet auteur ne sait de Dieu à peu près qu’une chose, qu’il est jaloux. Jonas espère échapper à la présence de Dieu. Tout ce qu’Ezéchiel dit de Dieu semble écrit pour réfuter Moïse. Samuel croit que Dieu ne se repent jamais ; Jérémie, que Dieu peut se repentir ; Joël, que Dieu ne se repent que du tort qu’il a fait. Concluons provisoirement qu’on ne peut chercher dans la Bible aucune connaissance théorique, ni des choses naturelles, ni des choses spirituelles. Il n’est pas moins absurde d’en tirer une théologie qu’une physique. Nous verrons bientôt ce qu’on y doit chercher.