personnes, sans que la politique s’introduisît parmi les convives et fît dégénérer la conversation en un bruit tumultueux : » Mercier s’en était plaint dans son Nouveau Tableau de Paris. A présent, on commence à perdre l’habitude de se disputer « pour des opinions ; on ne crie qu’aux cabarets et dans les tabagies. » Les journaux vont signaler, comme l’un des effets du mot d’ordre consulaire, la pacification des dîners.
Quelques salons officiels s’ouvraient à jour fixe. Mme de Staël s’y donnait beaucoup de mouvement ; « elle tournait comme une toupie autour des personnes marquantes[1]. » Tenant à établir son influence, à placer ses amis, elle travaillait aussi à soulager des infortunes, à obtenir des mises en liberté, des radiations d’émigrés, et s’employait impétueusement à la justice. Entre l’après-dîner et la soirée, » elle-même rouvrait son salon et ressuscitait cette puissance ; on s’occupait chez elle à dresser la liste des tribuns futurs et à lancer des noms. Parmi les membres de l’ancienne société noble, quelques-uns se jettent déjà en solliciteurs au travers du monde nouveau ; d’autres se tiennent à l’écart et se contentent de vivre. Rue Honoré, dans une maison de modeste apparence, la princesse de Beauvau, voltairienne impénitente, n’a jamais cessé un seul jour de recevoir ; elle habite un petit appartement, « meublé des restes élégans de son ancien mobilier. Du moment qu’on quittait l’escalier crotté, commun à tous les habitans, on se sentait transporté dans un monde à part ; tout était noble et soigné dans ces petites chambres. Le peu de domestiques qu’on y voyait était vieux et quelque peu impotent ; on sentait constamment qu’ils avaient vu si bonne compagnie que leur jugement était quelque chose[2]. » Dans ce lieu discret, des hommes politiques, des philosophes se faisaient voir ; en y venant, ils croyaient « se donner un air d’ancien régime[3]. »
Cinq heures ; les théâtres s’ouvrent. La police n’obtient jamais qu’ils ferment à l’heure réglementaire, neuf heures pour ceux du boulevard, neuf heures et demie pour ceux de l’intérieur. Le théâtre, c’est l’universel rendez-vous : lieu de réunion, de manifestation et de licencieux plaisirs. En pleine Révolution, un