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il était soutenu par son fils, vieillard lui-même, par son petit-fils, par Régner de Mansvelt et le pasteur patriote Jodocus de Lodensteyn.

Mais les regards se détournaient d’Utrecht ; ils allaient à Leyde, l’Université cartésienne et moderne, où Jean Coccejus avait inauguré une exégèse aventureuse et séduisante. Il avait décidément rompu avec la tradition, avec la scolastique dont les théologiens d’Utrecht et les anciens professeurs de Leyde s’inspiraient encore. Une certaine connaissance de l’hébreu l’avait porté à établir une nouvelle économie, toute personnelle, des Livres saints. Il pouvait ainsi, et grâce à une parole chaude et persuasive, établir ses deux thèses : l’une, que tout dans l’Écriture est symbole et figure ; l’autre, que Dieu a contracté avec l’homme une triple alliance, avec une famille avant Moïse, avec une nation du temps des Hébreux, avec l’humanité entière depuis Jésus-Christ. Des disciples Intelligens, tels que François Burmann, défendaient celle théologie « figuriste et fédérale. » D’autres, avec Jean de Labadie, la poussaient vers un mysticisme banal, cherchant, après tan( d’autres, des symboles et des prédictions dans les deux livres qui ont fait le plus délirer l’humanité, le Cantique des Cantiques et l’Apocalypse.

En 1663 parut le livre retentissant de Louis Meyer : Philosophia S. Scripturae interpres, exercitatio paradoxa. L’auteur se déclarait plus cartésien que Coccejus. Il prétendait interpréter la Bible rationnellement, c’est-à-dire d’après la philosophie. C’était la méthode de Maïmonide, à la différence près qu’il ne s’agissait plus de trouver Aristote dans la Bible, mais Descartes, comme on y trouvera plus tard la philosophie allemande. Cette doctrine, ainsi qu’il arrivait alors, fut reprise et soutenue sous le voile d’une réfutation par un théologien et un médecin d’Utrecht, Voétiens tièdes tous les deux : Velthuysen[1] et Louis de Wolzogue. Elle fut, au contraire, âprement attaquée par Labadie[2]. Une victoire définitive était impossible. Malgré l’apparence, l’interprétation rationaliste est à peine un progrès sur l’interprétation mystique : elle n’est pas plus acceptable, elle est presque aussi arbitraire. Il fallait trouver une méthode de critique sur laquelle, sans distinction de croyances, se puisse faire l’accord des intelligences ; et, s’il était possible ensuite, quelques principes fermes

  1. De usu rationis in interpretatione S. Scripturae, 1668.
  2. De S. Scripturarum interpretatione, 1668.