Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les Frères d’Allemagne. L’Italie aussi ne lui avait pas épargné certains vilains procédés : il est de notoriété publique, — le détail est consigné dans le Bulletin officiel de la maçonnerie du Luxembourg, — qu’une loge d’Italie, au lendemain de nos défaites, écrivit aux maçons du grand-duché pour se faire désigner un Allemand de distinction qui eût conquis quelque gloire aux dépens de nos armées ; cette loge lui voulait proposer un trophée suprême en le nommant membre d’honneur. Dans la maçonnerie d’Alsace, même, deux courans s’étaient dessinés, dont l’un fut assez pénible pour la maçonnerie française. Tandis que les loges de Mulhouse et de Colmar s’apprêtèrent, dès le lendemain de la guerre, à « briser leurs colonnes » plutôt qu’à subir l’obédience allemande, celle de Strasbourg, qui, peu d’années auparavant, avait facilité l’échange de coquetteries entre Jean Macé et les loges badoises, ne craignit pas d’user d’équivoques ; sans demander la permission du Grand-Orient de France, elle s’empressa, tout de suite après le traité de Francfort, de proposer à ses sœurs alsaciennes la constitution d’une grande loge d’Alsace ; et les autres loges ne laissèrent pas d’en être choquées, craignant d’entrevoir, derrière ce projet, un élégant moyen de prendre congé du Grand-Orient de France avant même que l’Allemagne victorieuse ne l’exigeât. Cette exigence survint en 1873, et, par un étrange retour, l’un des maçons d’outre-Rhin qui furent le plus impitoyables à l’endroit des loges d’Alsace-Lorraine et qui contribuèrent le plus activement à les faire persécuter, fut ce même Frère Brinck qui, en 1869, dignitaire de la Concordia, loge allemande de Paris, présidait avec Hubert le dîner mensuel des vénérables et toastait familièrement, sous les regards émus de Lachambeaudie, avec M. Henri Brisson. Toutes les loges d’Alsace se fermèrent, et la presque-unanimité de la maçonnerie allemande approuva la mesure du nouvel Empereur. On professait, d’ailleurs, un véritable culte pour ce « Frère » couronné, « homme pacifique, osait-on dire, homme aux chaudes étreintes ; » la loge de Worms entendit et fit imprimer, en 1875, un morceau d’éloquence presque idolâtrique, œuvre du « Frère docteur Münch, » et qui s’intitulait : « Guillaume Ier, notre modèle ; » et la loge de Metz, en 1877, reçut la double visite de Guillaume Ier, Empereur, et de Frédéric, Prince impérial, maçons l’un et l’autre. Ce jour-là, dans la loge de Metz, était-ce l’humanitarisme, ou bien un patriotisme imprévu, qui prenait droit de cité ?