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à beaucoup d’étrangers les témoignages d’un respect étonné, mettaient en colère Garibaldi ; et, parce que nous ne nous « lavions pas de cette double souillure, l’aristocratie et le prêtre, » il dénonçait notre « décadence Honteuse, » « spectacle dégoûtant dont l’histoire n’a jamais offert l’exemple. » Il s’excusait presque auprès de ses amis, — n’eût-il pas dû plutôt, après le singulier rôle qu’il avait joué, s’en excuser auprès de nous ? — d’être venu nous secourir durant l’année terrible : ce n’est pas contre le peuple allemand, écrivait-il, qu’il avait voulu combattre, mais contre le césarisme, et il ajoutait qu’il se réjouirait toujours des progrès que ferait l’Allemagne en se plaçant à la tête des nations qui s’efforçaient d’assurer l’émancipation de l’humanité. Les deux maçonneries de France et d’Italie respectent, en Garibaldi, le héros commun de leurs rêves : aujourd’hui, sa légende existe, coulée dans le bronze de plusieurs statues. En 1883, lorsqu’il mourut, elle était plus flottante et plus discutée : M. de Lanessan s’unit à M. Borriglione, le député de Nice, pour faire lever la séance de la Chambre en signe de deuil ; dans le vote, M. de Freycinet et les ministres s’abstinrent ; et l’hésitation des Gambettistes, qui faillirent eux aussi s’abstenir, fut très remarquée.

Un autre grand vieillard, Victor Hugo, continuait de bercer avec les illusions d’antan sa Muse presque octogénaire et les naïvetés de certains lecteurs superstitieux : en face de la politique réaliste que Thiers avait inaugurée et que poursuivaient les Gambetta et les Jules Ferry, Victor Hugo semblait être comme le barde du vieux parti républicain ; et les pompes assez indiscrètes dont on entoura son cercueil furent une récompense pour ses services beaucoup plus que pour son génie. L’ancien chantre des gloires napoléoniennes était devenu, sous le Second Empire, un fougueux adversaire du « militarisme ; » et dans les Châtimens sa bile s’était déversée sur nos soldats, qu’il accusait de ramper sans espérance, et d’avoir éteint la France dans le sang. Tel couplet même, écrit en 1853, pourrait servir d’épigraphe à nos diatribes contemporaines contre le sabre et le goupillon ; Hugo met en scène l’armée, avec les allures d’une personne d’assez mauvaise vie, et l’armée prend la parole :


Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux : un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l’orgue.