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peintre David vêtus complètement à la manière des élèves d’Apelle, tête nue, jambes nues chaussées d’un cothurne, et n’ayant d’autre vêtement même nécessaire que les plis ondoyans d’une double tunique[1] ; » des passans complaisans et narquois leur offraient des parapluies.

Sur les ponts, sur les places, dans les rues, c’est un envahissement d’étalages mobiles, d’échoppes en plein vent, de tréteaux et d’éventaires, rétrécissant le passage, gênant la circulation. Cette profusion d’industries parasites, cette usurpation permanente de la chaussée, est l’un des traits caractéristiques du Paris d’alors ; elle donne à toute la ville un aspect forain. Que de vendeurs de choses innomées et étranges, quelle exhibition de débris divers, quel débordement de bric-à-brac, que de ferraille, que de bouquins et d’estampes ! On vend sous le manteau des gravures représentant l’ex-famille royale, des emblèmes proscrits et des colifichets dynastiques. La police les pourchasse et favorise d’autres exhibitions. Bientôt, les passans vont s’attrouper devant une estampe représentant « le premier consul Bonaparte au milieu des sectateurs des cultes divers et les rappelant tous à une tolérance mutuelle. »

Promeneurs, errans de tout genre, désœuvrés et désheurés, s’entassent à certains momens dans les endroits où l’on mange. La Révolution, qui a éteint les foyers, qui a jeté sur le pavé une population de déracinés, a fait la fortune des restaurans. Sans parler des rois de la bonne chère, Méot, Véry, Robert, Saivres, Rose et leurs prodigieux émules, le nombre des traiteurs, cabaretiers, limonadiers, débitans de vins et de liqueurs s’est énormément accru. Partout se lit cette annonce : « Déjeuners froids. » On s’attable dès le matin, car la vie commence de bonne heure. Ensuite, beaucoup de Parisiens traînent leur journée dans les cafés et y pérorent interminablement ; chaque parti, chaque coterie a le sien et en fait une manière de club. Au dehors, les crieurs de gazettes hurlent des nouvelles à sensation, malgré la loi qui défend d’annoncer les journaux autrement que par leur titre ; en vain la police veut verbaliser contre les délinquans : « il est presque impossible de constater par témoins les contraventions, parce que les citoyens s’éloignent ou refusent de signer le procès-verbal[2]. »

  1. Mémorial de Norvins, II, 250.
  2. Rapport du Bureau central pour vendémiaire an VIII, AF, IV, 1329.