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Où règne en paix le droit vainqueur,
Où l’art me sourit et m’appelle,
Où la race est polie et belle,
Je naturalise mon cœur.
Mon compatriote, c’est l’homme ! ... »
Naguère ainsi je dispersais
Sur l’univers ce cœur français :
J’en suis maintenant économe...


La résolution ratifiait l’aveu, et M. Sully Prudhomme continuait :


De mes tendresses détournées
Je me suis enfin repenti ;
Ces tendresses, je les ramène
Etroitement sur mon pays,
Sur les hommes que j’ai trahis
Par amour de l’espèce humaine.


Il achevait, enfin, par cette apostrophe à la France :


Pris d’une piété jalouse
Et navré d’un tardif remords,.
J’assume ma part de tes torts,
El ta misère, je l’épouse.


Nombreux à cette date étaient les Français qui, comme M. Sully Prudhomme, prenaient congé d’une humanité abstraite en s’accusant de trahison, et venaient épouser la misère de la France pour racheter leur infidélité à l’endroit de ses vieilles gloires. N’était-ce pas, jadis, une doctrine reçue, et volontiers caressée dans la neutralité des laboratoires, que la science n’a pas de patrie ? Une voix n’attendit qu’une occasion pour s’insurger, celle de Pasteur : « Si la science n’a pas de patrie, pensait-il, le savant en a une ; » cette vérité de bon sens dictait à l’immortel chimiste le message, demeuré fameux, qu’il adressait au doyen de la Faculté de médecine de Bonn[1] ; et c’en était fait, pour quelques années, des prétentieuses déclamations d’antan.

Taine, à son tour, en cette heure de crise, effaçait de sa pensée les premiers linéamens du livre qu’il rêvait d’écrire sur l’Allemagne<ref> Nous renvoyons le lecteur, sur ce sujet, à quelques pages pénétrantes de M. Victor Giraud, professeur à l’Université de Fribourg : Essai sur Taine, son œuvre et son influence, p. 61 et suiv. (Paris, Hachette.) </<ref> ; insouciant dès lors de rendre hommage aux rêves

  1. L’épisode, qui fait grand honneur à Pasteur, est raconté dans le beau livre de M. Vallery-Radot : La vie de Pasteur, p. 269-274. (Paris, Hachette.)