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ne pouvait pas laisser la Mandchourie livrée à l’insurrection sans s’exposer à y voir compromise, et peut-être pour longtemps, l’œuvre immense qu’elle y avait déjà accomplie. Son chemin de fer était menacé partout, et déjà détruit même sur plusieurs points. La Russie a donc fait ce qu’elle devait faire, mais ce que seule peut-être elle devait faire, car aucune autre puissance ne se trouvait dans la même situation. Elle est entrée en Mandchourie ; elle y a rétabli l’ordre ; elle a pris des précautions pour qu’il ne fût pas troublé de nouveau. Cela l’a amenée à occuper militairement, politiquement, administrativement, une partie considérable de la province, ce qui devait lui attirer le reproche, — et elle n’y a pas échappé, — d’avoir rompu ce pacte de désintéressement territorial que toutes les puissances avaient solennellement promis de respecter. Aussi lorsqu’on a su qu’un arrangement particulier avait été conclu entre l’Angleterre et l’Allemagne, et qu’il visait ce désintéressement territorial qui était devenu la loi commune, a-t-on été porté à croire que c’était la Russie qui, par son action en Mandchourie, avait éveillé les préoccupations des deux puissances, et on s’est demandé ce qui allait arriver. Mais il n’est rien arrivé du tout, et on a su bientôt que l’Allemagne et l’Angleterre n’interprétaient pas leur contrat de la même manière, le comte de Bulow ayant déclaré que la Mandchourie n’y était pas comprise, tandis que lord Lansdowne déclarait le contraire. Nous ne rechercherons pas où est la vérité dans ces assertions opposées. Lord Lansdowne a d’ailleurs assuré que la divergence entre le comte de Bulow et lui n’avait pas d’importance, puisque l’Allemagne avait marché d’accord avec l’Angleterre dans les observations qui avaient été présentées au gouvernement chinois au sujet de la Mandchourie. Et, en effet, il semble bien que l’Allemagne, au cours de cette affaire, ait voulu ménager à la fois la Russie et l’Angleterre, et qu’elle n’ait été complètement ni avec la première, ni avec la seconde. La diplomatie allemande a montré un embarras qui ne lui est pas habituel entre les Russes, ses amis traditionnels, et les Anglais, plus nouveaux dans ses bonnes grâces.

Il s’agissait d’un traité que la Russie avait fait avec la Chine pour préparer, disait-elle, l’évacuation de la Mandchourie. Ce traité fixait les conditions dans lesquelles les autorités russes, qui s’étaient substituées aux autorités chinoises, feraient rentrer celles-ci dans leurs anciennes fonctions. Il y avait là, tout d’abord, une affirmation formelle de la souveraineté de la Chine, ce qui aurait dû donner satisfaction aux puissances, mais aussi l’établissement d’une espèce de protectorat, peut-être provisoire, — car la Russie affirmait que l’évacuation