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l’insuffisance de ses méthodes pour atteindre à l’objet qu’il s’était proposé.

Taine n’a pas été, à proprement parler, inventeur en philosophie ; il n’a pas apporté à la spéculation métaphysique un principe nouveau : mais il a repensé pour son compte, fait entrer dans une forte combinaison systématique, et appliqué à des sujets où on ne les avait pas encore transportées, les idées qu’il devait à son immense lecture. D’où lui viennent donc ces idées ? Où en sont les racines ? Et par conséquent quelle place lui appartient dans le mouvement de la pensée contemporaine, dans la suite du développement philosophique ? Tout l’effort de M. Barzelotti a consisté à mettre en lumière une de ces influences subies par Taine ; il l’a fait saillir aux dépens de toutes les autres ; c’est l’idée dirigeante de son travail, celle qui le rend tout à la fois original et contestable. « J’ai voulu particulièrement dans cette étude aborder un point qu’ont à peine effleuré les critiques qui se sont occupés du grand écrivain : Taine peut-il être défini et en quel sens, une intelligence foncièrement française fécondée par des idées d’origine et de tradition germaniques ? » Dans une étude sur Taine, M. Boutmy avait écrit : « Taine avait une imagination germanique administrée et exploitée par une raison latine. » L’écrivain italien se rencontre avec lui ; tout son livre n’est que l’illustration de ce point de vue. A l’en croire, c’est d’Allemagne que seraient venues au penseur français ses idées fondamentales. « La conception de l’unité organique du monde humain et de ses principales variétés de type et de structure psychologiques qui est le fond de toute sa doctrine, il les doit à l’école historique allemande et à Gœthe. » Lui-même n’en faisait-il pas volontiers l’aveu ? « De 1780 à 1830, écrivait-il dans son étude sur Carlyle, l’Allemagne a produit toutes les idées de notre âge historique et pendant un demi-siècle encore, pendant un siècle peut-être, notre grande affaire sera de les repenser. » Et il ajoutait que toutes ces idées se réduisent à une seule, celle du « développement » (Entwickelung). L’œuvre de Taine n’aurait donc guère été que le véhicule de la pensée allemande telle qu’elle est représentée par Gœthe, — et surtout par Hegel.

Que Taine ait beaucoup lu Hegel, on ne songe guère à le contester. Quand ses livres ne seraient pas là pour le prouver, cela ressortirait assez de son témoignage. « J’ai lu Hegel tous les jours pendant une année entière en province ; il est probable que je ne retrouverai jamais des sensations égales à celles qu’il m’a données. De tous les philosophes il n’en est aucun qui soit monté à des hauteurs