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sur l’œuvre de Taine viennent de s’ajouter deux livres des plus recommandables : un essai sur la Philosophie de Taine[1] dû à M. Giacomo Barzelotti, le savant professeur d’histoire de la philosophie à l’Université de Rome, un Essai sur Taine[2] dû à notre jeune compatriote, M. Victor Giraud, professeur à l’Université de Fribourg.

L’aspect sous lequel nous apparaît un écrivain est le résultat d’un travail à peu près inévitable de simplification. Nous ramenons à quelques grandes lignes les traits de sa physionomie intellectuelle. Nous le figeons dans une attitude. Son nom étant pour nous inséparable de deux ou trois idées essentielles, nous cédons à l’illusion de croire que ces idées ont jailli un beau jour toutes formées en son esprit, et qu’il les a jusqu’au bout appliquées sans défaillance. Cette conception n’est pas seulement incomplète, elle est fausse. Pour la rectifier, il y faut faire rentrer les notions de complexité, de formation successive, de changement, c’est-à-dire la vie. Chez Taine particulièrement, tout contribue à nous donner l’impression d’une rigide unité, d’une fidélité absolue à quelques principes très simples, d’une sorte d’immutabilité dans une pensée rectiligne. Un des hommes qui l’ont le mieux connu et qui en ont parlé dans les meilleurs termes, M, G. Monod, écrivait, il y a quelques années : « De la première ébauche de sa thèse sur les Sensations au dernier chapitre de ses Origines, Taine reste semblable à lui-même et la préface du Tite-Live, la conclusion des Philosophes français, l’introduction à la Littérature anglaise, le livre De l’Intelligence marquent les points de repère d’un système plutôt que les étapes d’une pensée qui évolue. » Parce qu’il n’a cessé d’appliquer à tous les sujets, qu’il s’agit de Tite-Live ou de Napoléon, le même appareil critique, on s’y est trompé. Parce que les cadres étaient les mêmes on a pensé qu’il y faisait tenir les mêmes choses. Sous cette uniformité de surface les récens biographes de Taine se sont proposés de retrouver l’initiale diversité des élémens du système et les retouches qu’avec le temps et sous diverses influences Taine y a apportées. En effet, loin d’être le développement d’une idée unique, le système de Taine est fait de la réunion d’un grand nombre d’élémens de provenance diverse ; et loin que Taine se soit emprisonné dans son propre système avec un aveuglement peu philosophique, il s’en est lui-même peu à peu écarté notablement, à mesure qu’éclatait à ses yeux comme à ceux de ses contemporains

  1. G. Barzelotti, la Philosophie de Taine, traduction de M. Aug. Dietrich., 1 vol. in-8o, Alcan.
  2. Victor Giraud, Essai sur Taine, 1 vol., Hachette.