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d’ailleurs poussés par la nécessité, essaient de continuer leur travail et vont contaminer les ateliers qui consentent à les recevoir. Les petits ateliers surtout, où l’on travaille en famille, dans un espace resserré, sans que nulle règle vienne tempérer le sans-gêne individuel, sont des foyers de contagion redoutables. Chez un relieur, notre proche voisin, un ouvrier est accueilli quoique malade, et travaille deux mois, toussant et expectorant sans qu’on songe à s’en formaliser, puis finit par consulter un médecin, qui le reconnaît tuberculeux et l’envoie à l’hôpital. Peu de temps après, les deux fils du patron, jeunes gens de quinze à dix-huit ans, qui travaillaient à la même table, sont pris successivement de crachemens de sang et succombent à une phtisie rapide.

Les bureaux où de nombreux employés passent leurs journées, entassés dans un espace restreint et sans air, ne sont guère moins malsains. Dans un bureau appartenant à une grande administration parisienne et comptant vingt-deux employés, entrent, en 1878, deux tuberculeux, qui y vivent plusieurs années, toussant constamment, crachant souvent sur le plancher, dans un local étroit et mal tenu. Les employés arrivent au bureau le matin de bonne heure, au moment où la poussière est soulevée par un balayage fait à sec : de 1884 à 1889, en l’espace de cinq ans, treize d’entre eux contractent successivement la phtisie pulmonaire et y succombent.

La caserne, en dépit des progrès réalisés dans l’hygiène et la police sanitaire de l’armée, est encore un des lieux où la contagion tuberculeuse semble s’effectuer le plus aisément. Parmi les jeunes soldats du contingent annuel, il y a toujours, malgré la sélection qu’on s’efforce d’établir, quelques individus atteints de tuberculose latente, sans autres symptômes qu’un léger catarrhe bronchique ; on hésite à les réformer, de peur du mauvais exemple et aussi par crainte ; d’affaiblir les effectifs : on se contente, lorsque leur insuffisance est trop manifeste, de les exempter de service, et ils passent parfois de longs mois entre la chambrée et l’infirmerie, toussant et crachant à loisir au milieu de leurs camarades. Quand on voit un garçon auparavant sain et vigoureux revenir du régiment avec une pleurésie, une hémoptysie, ou tout autre signe de tuberculose au début, comment se défendre de l’idée qu’il a été contagionné ?

Il n’est pas jusqu’à l’hôpital qui ne joue son rôle, à Paris tout au moins, dans la diffusion du redoutable bacille. Les phtisiques