Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu de finir franchement, se traîne durant quelques mesures d’un chromatisme gémissant et reste comme suspendue à deux notes qui ne pleurent plus, mais ne rient pas encore : elles boudent.

A cheval sur un bâton, Le Hanneton, sont des scènes descriptives. La seconde a pour sujet la rencontre d’un enfant et d’un hanneton. C’est un petit poème héroï-comique, un « nome pythique » en miniature !, mêlé de bonhomie et de sérieux. La musique a raison de sourire, à la dérobée. Elle n’a pas tort non plus de feindre une terreur folle d’abord, puis une folle joie. Insecte pour nous, un hanneton peut être le dragon Fafner pour quelque petit Siegfried en jupon, et la musique, en égalant les deux monstres, les deux combats, et les deux victoires, ne fait que se conformer et se soumettre, une fois de plus, à la réalité.

Comparez la Berceuse de la poupée, de Bizet, avec la pièce de Moussorgski qui porte le même titre, et vous sentirez aussitôt que le titre seul leur est commun. La musique slave est ici la plus profonde, et l’enfant russe, étrangement sérieux déjà, semble moins bercer le sommeil d’une poupée qu’un sommeil humain, l’oubli, trop court, hélas ! et peut-être traversé par des rêves, de la fatigue et de la misère de vivre.

De ces petits chefs-d’œuvre, le chef-d’œuvre par excellence s’appelle la Prière. D’abord, il est le plus « fait » et le mieux ordonné. Quelque chose de régulier, sinon de symétrique, s’y reconnaît tout de suite, ne fût-ce qu’en de certains accords, dépendans ou conjugués deux à deux, l’un toujours appuyé sur l’autre, et qui tintent, pareils à des cloches du soir, très douces Ils forment une basse et comme une trame à la mélodie, qui se déroule sur eux. Sur eux passe et repasse l’enfantine et délicieuse « prière pour tous. » Pour papa d’abord et pour maman ; puis pour les frères ; pour « grand’maman si vieille, grand’maman si bonne, » dont la seule pensée attendrit encore davantage cette voix de la faiblesse, priant pour la faiblesse aussi. Aux ascendans succèdent les collatéraux, et déjà moins attentive et tournant à l’énumération machinale, l’oraison s’accélère et s’embrouille : « Mon Dieu, gardez tante Katia, tante Natacha, tante Paracha, les tantes Liouba, Varia, Sacha, Olia, et Tania, et Nadia. » Des valeurs lentes, blanches ou noires, priaient posément pour la ligne directe ; pour les collatéraux, ce sont des croches et bientôt des triolets. Les oncles enfin, les cousins et la