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à la même époque ou à peu près, et, longtemps avant Bizet, Schumann, ont également composé des Scènes d’enfans, mais pour le piano seul. De là vient qu’en dépit des titres ou des petits programmes, les pièces de Bizet et surtout celles de Schumann ont, plus que celles de Moussorgski, le caractère et le prix de la musique pure. Les gentils tableaux du maître français possèdent les anciennes qualités françaises : la précision, l’élégance, l’esprit. Quand il parlait musique, l’auteur de Carmen disait volontiers : « Il faut toujours que cela soit fait. » Or, ceci est « fait » et bien fait, beaucoup mieux sans doute que les scènes de Moussorgski, dont la facture est le moindre mérite. Le Bal ne consiste qu’en un temps de galop. Le charmant andante dialogué : Petit Mari, Petite Femme, eût mérité mieux que ce titre un peu bête. Scrupuleusement imitative, la musique de la Toupie tourne, ronfle et dort. La douce, mais un peu froide Berceuse de la poupée semble en effet ne bercer qu’un sommeil de bois et sans rêve. Tout cela, c’est de l’enfantillage musical, et du plus spirituel ; ce n’est pas-l’enfance en musique, ou la musique de l’enfance.

Avec autant de naturel et de vivacité que Bizet, Schumann a plus de poésie. Il enveloppe davantage des mélodies qui viennent souvent de plus loin : du fond déjà mystérieux des petites âmes allemandes. Elles vont plus loin aussi, et toujours dans le sens du mystère. Elles dépassent leur titre et débordent leur sujet. La phrase ardente de la Rêverie monte très haut, et le thème de l’Enfant s’endort est si pur, si noble, que Wagner, un jour, ne le trouvera pas indigne de bercer, parmi les flammes gardiennes, le sommeil de sa Valkyrie.

Schumann est un des maîtres du rêve, et son royaume sonore n’est pas de ce monde. La dernière des Scènes d’enfans (le Poète parle) exprime en effet le rêve d’un poète qui regarde un enfant, plutôt que la pensée de l’enfant lui-même. C’est l’enfant au contraire, et lui seul, qu’observe Moussorgski. C’est à la fois le sentiment et le parler enfantin, de sorte qu’ici l’objet de l’imitation musicale est double. Voici le sujet et le texte, ou à peu près, de la première scène de la Chambre d’enfans : « Dis, Niania, l’histoire du vilain ogre qui mange les petits enfans. N’est-ce pas, Nianiouchka, c’est parce qu’ils n’avaient pas été sages, parce qu’ils avaient battu Niania et grand’mère aussi) ?… Une autre, Niania ! L’histoire de la reine et du roi qui demeuraient dans un beau château près de la mer. Le roi boitait et la reine était enrhumée