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joue un rôle capital dans les deux opéras de Moussorgski, le chœur est représenté dans Khovantchina par une sorte de milice ou de garde prétorienne, les streltsy, et par les raskolniki ou vieux croyans, dont la défaite et le martyre fait à l’œuvre un héroïque dénouement. Quand à Boris Godounof (d’après le drame de Pouchkine), c’est l’histoire de deux usurpateurs : Boris, l’assassin de l’héritier légitime, et Grégoire, un imposteur, un moine échappé de son couvent, qui succède à Boris, mort à son tour, sous le nom de Dimitri, le tsarévich assassiné.

Historique et national, ces deux caractères font de l’opéra de Moussorgski un opéra réaliste. Les événemens qui composèrent la destinée d’une nation et qui remplissent ses annales ; le passé de la patrie, fût-il éloigné par le temps, reste, par l’intérêt qu’il continue d’inspirer, prochain et presque présent. Si l’histoire n’a pas toujours la poésie de la légende et la grandeur du symbole, elle possède au moins cet avantage, qu’elle est véritable, qu’elle est, comme on dit familièrement, « arrivée, » et dans la musique où lui-même il revit, un peuple trouve naturellement plus personnelle et plus profonde l’impression de la réalité.

Sans compter que Moussorgski n’emprunte pas à l’histoire l’apparence ou le décor, la couleur superficielle, et souvent artificielle aussi, des temps ou des lieux. Une œuvre comme Boris n’est pas historique à l’extérieur seulement : par une mise en scène de tradition et de convention, par les costumes et les cortèges, par la marche obligée du couronnement ou des funérailles. Le génie du musicien va plus avant : jusqu’au fond, jusqu’à la nature et à la vérité. Tous les personnages de l’histoire, dans ses deux opéras, lui sont bons, comme, dans ses lieder, tous les personnages de la vie. Si les petits et les misérables : les soldats, les paysans, les enfans, les idiots même l’attirent, les héros ne lui font pas peur. C’est un admirable portrait que la figure musicale de Boris. En deux ou trois scènes, surtout dans la scène de la mort, avec une incomparable puissance d’évocation, Moussorgski restitue non pas l’aspect, ou la condition, mais le caractère et lame du tsar meurtrier. On comprend qu’à la première représentation de Boris une voix ait crié : « Voilà l’histoire ressuscitée ! Voilà l’histoire vraie et vivante ! »

Réaliste, la musique de Moussorgski l’est encore, parce qu’elle nous cause, avec une énergie peu commune, l’impression directe et comme immédiate de la réalité. Entre nous et les