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« Moussorgski, écrivait-on en 1893, douze ans après sa mort, Moussorgski appartient à la race des musiciens chez qui la sève est généreuse et qui poussent le tempérament jusqu’à l’intempérance. Il est mélodiste, et chez lui la mélodie déborde même parfois avec une vigueur inouïe. Son harmonie n’est pas toujours correcte, mais elle est généralement d’une saveur neuve et forte, souvent voisine de l’âcreté. Sa modulation excède volontiers toutes les règles et cause quelquefois plus d’étonnement que de plaisir. Il n’était point de ceux qui se modèrent, et la faculté inventive et imaginative était chez lui beaucoup plus développée que l’aptitude à se critiquer soi-même. Il est, en somme, fréquemment, une sorte de « réaliste, » ou de « naturaliste, » enclin à la violence et à la brutalité. Mais, chez lui, que d’éclat et de puissance, et combien on doit regretter qu’il ait disparu prématurément ! » En parlant ainsi, dans son Précis de l’Histoire de la musique russe, du maître de Boris Godounof et de la Chambre d’enfans, l’un de nos plus sages confrères, M. Albert Soubies, a parlé sagement.

Trois ans plus tard, un autre a parlé chaudement. Conférencier, biographe et traducteur, M. Pierre d’Alheim, en 1896, s’est déclaré le champion, ou mieux l’apôtre de Moussorgski. Non content de lui consacrer une partie de son temps et de son œuvre, à son foyer même il a trouvé et formé pour son musicien préféré une admirable interprète. Ce couple d’artistes a fait ainsi, du soin d’un génie inconnu, un devoir et comme un bien de communauté. Ils l’ont glorifié tous deux : lui, par ses discours et par ses écrits ; elle, plus éloquente encore, par ses chants.

Je n’oublierai jamais le jour où l’un et l’autre ils me l’ont révélé. C’était un jour d’hiver, dans un modeste logis. La belle voix féminine commença de chanter. Elle chanta d’abord un fragment de l’opéra Khovantchina : La divination par l’eau. Lentement, en des mots inconnus et qu’on me traduisait tout bas, à mesure ; en des notes étrangères aussi, mais qui se comprenaient d’elles-mêmes, une cantilène mélancolique annonçait à je ne sais quel héros un funeste avenir. Quand la chanteuse eut achevé, elle se tut quelques instans, puis elle reprit. Cette fois, la joie éclairait son visage, animait sa voix : une joie hardie et presque mauvaise. Sur des rythmes sauvages, elle entonnait, des refrains de paysanne et d’amoureuse. Vinrent ensuite d’héroïques ballades, des hymnes d’un éclat sinistre et d’une rudesse atroce : hymnes